Il s'imagina, entrant dans un de ces mondes parallèles, aux accents d'un monde véritable,
plein de bruits, de formes et de couleurs, plein d'êtres visibles mais cependant immatériels.
Il aurait la joie d'inverser le monde. Dans le monde d'aujourd'hui, on ne voit ni ne sent les
fantômes. Peut-être existent-ils, peut-être pas. Allez savoir. Mais là dans son monde
virtuel, il serait lui le fantôme, dont ces êtres virtuels ignoreraient l'existence. Pour eux, il
ne serait rien d'autre qu'un non-être, se déplaçant sans bruit, sans odeur, sans forme ni
couleur. Il pourrait être là, sans qu'aucun des êtres virtuels, là, devant lui, autour de lui, en
soit le moins du monde incommodé. Et comme un fantôme, il pourrait assister à leurs
mouvements, à leur débats, à leurs ébats, à leur querelles, à leur guerre. Dans ce monde, il
y jouerait au passager clandestin, au voyeur, au passe-muraille, au passe-homme. Non
seulement, il pourrait passer au travers de ces êtres holographiques, mais plus encore.
C'était là une horrible découverte! Il pourrait lire dans les pensées de ces êtres virtuels,
savoir comme ils s'aiment ou comme ils se détestent.
Gravetou ajouta cependant qu'il doutait un peu de la capacité des programmeurs à réaliser
un monde totalement anthropomorphique, mais que l'imagination des hommes aidant, ces
mondes virtuels pourraient être ceux des frissons garantis, parmi des créatures inédites. Il
imagina par exemple des créatures énormes, non pas composées de molécules assemblées
comme nous pouvons l'être, mais résultat d'un assemblage informe, invertébré, comme
une mère de vinaigre ou comme du kéfir, ou comme un nuage de sauterelle. Créature
capable de mémoire, d'analyse et de réactions et d'actions. Créature dont on devine la vie
et l'intelligence et le besoin de communiquer. Voilà sans doute un des mondes virtuels
facilement fractalisés et chaotisés dans lesquels on pourra se trouver rien qu'en ouvrant
une porte. Mais qui sait, l'imagination et le talent des hommes réels ne pourront-ils pas
construire aussi pour le plaisir, ô blasphème, des hommes à notre image?
A l'appui de ses idées, Gravetou se rappela "Le lapin blanc", une BD pour enfant rêveur
qui l'avait enchanté.
Quant à ses compagnons, cette vision du futur les laissa froids, comme si , en l'écoutant, ils
avaient feuilleté sans comprendre une BD de science fiction. Il y avait là une espèce
d'interdit. Halte là, il est interdit d'imaginer. Ils refusaient sans doute de regarder la vie par
dessus la rambarde des jours, par peur du vertige sans doute.
A l'évocation des mondes virtuels, Manach s'était pour sa part remémoré une expérience
bien réelle, dans laquelle des chercheurs avaient réussi à faire sortir une voix du milieu
d'une pièce, là où il n'y avait personne. Encore une histoire de fantôme. Imaginez-vous
tranquillement assis à lire dans le silence d'un salon d'un vieux manoir écossais, quand
soudain une voix s'adresse à vous. Vous levez les yeux, mais vous ne voyez personne, et la
voix continue "Aùdu bone Hamlet. Mi estas la spirito de via patro, kondamnita vagadi en
la nokto...". Personne! Vous vous levez, vous changez de place et la voix semble toujours
venir du centre de la pièce. Fantôme, rêve? Non. La technique, toujours la technique. Ici,
c'est le mariage de quelques ondes ultrasonores que l'on fait se rencontrer au centre la
pièce, en faisant en sorte que les fréquences hautes s'opposant entre elles produisent des
fréquences basses que l'on sait alors entendre.
Chaloco prophétisa à son tour:
- la machine risque un jour d'inventer des trucs que notre auto-censure consciente ou
inconsciente nous interdit d'inventer. La machine prendra l'information, la comparera à ce
qu'elle connaît et constituera sa propre base, selon ses propres filtres, avec tous les risques
de prendre comme vraies des informations fausses.
Il se trouvera toujours un apprenti sorcier pour faire de la politique avec cette machine.