Pérégrinages physiques et métaphysiques

 

 

{c}

Métaphysique pour sourire

 

L'homme est en marche vers la complexité.

D'aussi loin qu'on le connaisse, l'homme est parti de l'assemblage de quelques molécules, d'une paramécie troublante de simplicité, de quelques neurones agencés, agencés par mégarde selon les uns, par transcendance, diront les autres... disons, pour ne fâcher personne, par mégarde transcendante.

J'aime à penser qu'un jour la transcendance s'ennuyait, regardait ailleurs et qu'alors, sans y prendre garde, par mégarde, elle inventa le sens. Elle qui était sur une infinie ligne droite, de toute éternité, par mégarde, elle y mit un point, sur cette droite, le trouva joli, trouva que ce point rompait la monotonie de l'éternel infini. La transcendance n'aurait eu qu'un seul point, sur cette droite, le mal n'aurait pas été fait. Un point, ça n'a qu'un diamètre infiniment petit. De l'infiniment petit à l'infiniment grand, la transcendance restait après tout complètement propriétaire. Un seul point n'était pas gênant. Le zéro et l'infini n'ont ni l'un ni l'autre de représentation. Essayez donc de faire quelque chose de concret à partir du néant ou à partir de l'infini. Rien à faire, vous avez dans la tête une sorte de dissonnance gênante. Vous avez beau tourner la chose en tous les sens, le zéro et l'infini appartiennent à la transcendance et à personne d'autre.

La transcendance l'avait trouvé joli, son point sur sa droite. Tellement joli, ce contrepoint de l'éternité, que, par mégarde toujours, la transcendance en avait posé un autre, un autre point.

Diable(sic), le mal était fait. Eh oui, parce que, entre les deux points, vous imaginez... Entre deux points, il y a quelque chose qui n'est plus de l'infini. Il y a une distance. On va de celui-ci à celui-là et de celui-là à celui-ci. Dieu (re-sic), par mégarde, avait inventé le sens.

S'en était-il rendu compte tout de suite, des conséquences de l'invention du point? Sans doute pas. Sinon, il n'aurait pas été jusqu'à mettre un point hors de son infinie ligne droite. Trois points, trois points non alignés, Monsieur Dieu, qu'est-ce que ça fait? Dieu, qui avait encore l'éternité pour lui, réfléchit. C'était nouveau. On ne pouvait pas répondre n'importe quoi, il y allait de sa crédibilité. On ne s'intitule pas Transcendance sans en assurer la majesté et bien sûr l'infaillibilité. Quoique, en n'y prenant pas garde...

Oui, Monsieur Dieu, vous avez raison, trois points non alignés définissent une surface. Dieu immédiatement rajouta, pour montrer qu'il était plus intelligent: et quatre points forment un volume. Par extrapolation, dans l'infiniment petit d'un instant d'éternité, la transcendance découvrit l'ampleur de la mégarde. Elle venait de créer notre univers. Première dimension le sens; deuxième dimension, la surface; troisième dimension le volume.

En fait, quelque chose le chatouillait. Installé dans son éternité, Dieu faisait un petit blocage. Mais sa fonçière honneteté intellectuelle lui fit rendre grâce. Maintenant qu'il avait inventé le point A et le point B, la logique s'imposait. On ne peut être en même temps en A et en B, sauf à confondre les deux points qu'il venait justement de dissocier. Sachant bien qu'il faudrait toujours un certain temps pour aller d'ici à là, Dieu se résolut à regret à découper son éternité.

Passé le premier instant de colère après lui-même, puis d'abattement, son déterminisme essentiel - par essence, Dieu est déterministe - lui fit entrevoir un univers plutôt sympa. Sûrement beaucoup de misère, avec du bonheur en contrepartie. Il avait fallu choisir: hors du train de l'éternité, on a rien sans rien. Bref, Dieu, avec ses quatre dimensions, avait très vite compris que la création de la paramécie était inéluctable.

Voilà ce que c'est que l'oisiveté. Quand on n'a pas à faire la vaisselle, on s'ennuie, et puis on pense! Le big-bang, c'est ça, l'univers étouffait de trop d'ordre, il fallait bien que ça éclate

Reprenons: "De quelques neurones agencés, par mégarde selon les uns, par transcendance diront les autres, on en était arrivé à combien de milliards et rien ne permettait de dire aujourd'hui que ce nombre cesserait un jour d'augmenter. Il y a toujours des paramécies, mais combien d'autres espèces se sont baties, milliers d'années par milliers d'années, pour un jour arriver à l'espèce humaine, sans parler du règne végétal.

- En fait, on spécule sur des millions d'années en arrière, à partir des indices que l'on a aujourd'hui. J'ai plutôt envie de spéculer sur un million d'années en avant.. Et pour celà, je trace un trait d'aussi loin que l'on spécule sur le passé, jusqu'à aujourd'hui, et je le prolonge, sans honte, sans peur et sans vertige. De l'atome à la paramécie, j'ai déjà fait un bout de chemin. De la paramécie à l'homme, d'accident génétique en accident génétique, voilà une autre étape. Aujourd'hui, le problème semble se compliquer, parce que le facteur hasard génétique tombe dans l'océan de la conscience humaine. Jusqu'à quand celle-ci va-t-elle protéger l'évolution naturelle? Cent ans, mille ans, plus...? Viendra bien l'heure de quelques savants fous, ou d'une masse humaine submergée d'angoisse, ou prisonnière d'une logique radicale. En mille ans, des occasions ne manqueront pas.

Gageons cependant que nous resterons sur la droite de l'évolution, où tout se sera passé selon le bon vieux principe de la pérennité de l'espèce. L'espèce humaine est comme toute autre espèce animale. Elle apprécie plus ou moins consciemment les ressources de son territoire et s'y adapte. Les futurologues se trompent quand ils pensent que globalement l'homme peut réagir avec toute sa conscience pour traverser ses vicissitudes. Globalement, l'homme réagit dans un inconscient collectif dont la composante la plus forte est de se reproduire, selon l'élan vital qui l'a déjà conduit jusqu'à aujourd'hui dans cette complexité qui ne peut que croître. Cent mille ans après nous, la terre aura eu dix occasions d'exploser ou de fondre. Seuls quelques cancrelats auront survécus, relançant l'évolution sur de nouveaux chemins. Il faudra alors encore des millions d'années pour que de nouveau l'équivalent d'une conscience humaine habite la terre.

Quelque part en lui-même, l'homme, épris d'idéal, imagine le scénario du paradis sur terre, où tous les hommes, sans aucune exception, pourraient se persuader de leur immortalité, et y arriver dans toute la plénitude de leur conscience, permettant ainsi à la transcendance de reprendre ses quatre dimensions et de continuer l'éternité comme avant.