Pompe
à m...
Elle a retroussé son nez dans une expression de dégoût.
Devant le bistrot, un camion, gros éléphant jaune, a sorti sa trompe, une longue trompe qui plonge aux entrailles de la rue et renifle bruyamment.
Que de choses dans son reniflage, ou reniflement (reniflance, reniflation,... que l'Académie tranche !) : cette eau pure, née dans la montagne, est arrivée ici, route des Alpes.
Drôle de voyage. Elle n'a jamais choisi. Son destin, c'était de descendre, toujours descendre, jusqu'à ce matin.
Ce matin, elle est passée là, juste au-dessus du bistrot, par le lavabo d'une salle de bain. Elle y a vu une femme nue au sein généreux, se pencher sur elle dans la lourdeur de son premier lever.
Là, l'eau est devenue maussade, chargée de crachats mousseux à peine parfumés de chlorophylle, (j'aurais pas aimé être un poil de brosse à dent) et puis, elle s'est muée en tourbillons dans le noir des tuyaux.
Quelques mètres à peine, elle s'est arrêtée, sans lumière, comme un métro dans son tube, qui s'arrête d'un coup, sans qu'on sache pourquoi, dans le silence.
Là, elle a senti l'angoisse monter peu à peu, envahie par l'odeur des autres voyageuses, ces voyageuses que l'on dit usées, réduites à l'état d'une seule voyelle: o, l'eau, l'eau usée, les eaux usées.
Mais l'eau, l'eau cristalline des Alpes en a vu d'autres, elle sait qu'elle redeviendra pure, d'une façon ou d'une autre.
En attendant, elle sent l'odeur des autres voyageurs. Ici, elle a eu de la chance : la première odeur qu'elle a reconnu, c'est celle du malt, en infime quantité, précipitée ici quand le garçon du bistrot a lavé les verres de whisky de la veille, en même temps que celle du café, un peu plus forte, un brin sucrée.
Une chance encore, le client au comptoir n'a pas fini sa menthe à l'eau. Le garçon l'a jetée dans l'évier. L'eau a reconnnu l'odeur de menthe fraîche qu'elle avait perçue lorsqu'elle n'était que torrent dans la montagne. C'est apaisant l'odeur de menthe fraîche, quand on attend comme ça, dans le noir d'un tuyau.
Et puis bruquement, l'éléphant jaune a reniflé plus fort, et toutes les eaux sont reparties en tourbillon irrépressible jusqu'au ventre de l'éléphant.
Quelques unes des autres eaux, les plus vieilles, lui dirent que c'était là sans doute un transport en commun. Elles, qui avaient été en bouteille, avaient reconnu les trépidations.
Alors, toutes les eaux usées du camion Auximob surent que bientôt elles redeviendraient pures.
Ertia