Il y a bien longtemps, dans la plus haute antiquité, les collines savaient se parler.

Quand l'une d'entre elles voulait dire à l'autre quelque chose, elle murmurait son message dans le vent du soir.

Quelque mulot, ou une hermine, parfois une vipère ou une araignée, entendait la plainte ou le soupir de contentement de ce bout de terre que chacun louait à l'année.

Alors chaque animal devenait le colporteur de la plainte, du soupir, ou de quelque histoire plus grave: la mort d'un arbre, un éboulement, que sais-je, tout ce qui peut arriver à une colline pendant sa longue vie.

Et chacun de ses habitants se sentait investi de propager l'histoire jusqu'à la colline voisine, et ainsi de suite, jusqu'à ce que tout le canton sache la vie de tout le canton.

Bien sûr, dans les vallées, veillait un ruisseau, ou une rivière qui arrêtait le messager et parfois le noyait. Mais le plus souvent, le message passait de branche en branche grâce à l'écureuil contrebandier ou à l'araignée d'eau. Ainsi, pendant longtemps, la vie continua.

Un jour, cependant, une des collines qui surplombait la mer, raconta que pour la première fois, les vagues avaient mouillé la futaie de chênes. Sur le moment, la colline avait cru à une simple colère de la mer. Mais d'année en année, la mer se fit plus pressante. Elle rugissait et disait:" C'est à moi, c'est à moi". Comme si quelque chose pouvait être à quelqu'un... Insidieusement, l'eau montait.

Bien plus tard, un fond de vallon fut humecté d'eau salée. Les deux collines s'en étonnèrent. Avec effroi, elles découvraient que la mer avait maintenant gagné la gorge par où passait leur rivière. La rivière se sentit comme amputée. Les gorges fières n'étaient plus les siennes. Les collines, qui pourtant avaient de la mémoire, commencèrent à oublier leurs pieds verdoyants qui changeaient de couleur selon les saisons.

Un autre grand choc, ce fut l'année où la mer gagna le col qui joignaient deux collines. Elles se séparèrent à longs regrets, qui durèrent plusieurs centaines d'années, jusqu'à ce que le gué disparaisse le jour entier. Avant, bien sûr, on pouvait se rendre visite, à marée basse. Mais maintenant, il n'y a guère plus que la mouette pour porter les messages.

....C'est ainsi que la colline se fit île....

R. Tia

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