Les TV américaines vues par un français en Amérique
Lettre publiée par LE PETIT BOUQUET
www.le-petit-bouquet.com
Le quotidien électronique de l'actualité française.
No 1039 - mercredi 13 février 2002
"Tout d'abord, il faut remettre les choses dans un contexte américain, et non français: Il est totalement faux qu' « une importante partie de la population est frustrée des JO aux US ». En voici la raison: contrairement aux Français, une très large majorité des Américains est câblée ou reçoit les programmes par satellite. Seule une très faible minorité continue à recevoir la TV par voie hertzienne. La voie hertzienne est utilisée localement, et en général toutes les grandes chaînes de type ABC, NBC et CBS sont inclues dans le bouquet de chaînes hertziennes (celui-ci étant extrêmement limité d'ailleurs).
Aux États-Unis, il y a jusqu'a 6 heures de différence (entre cote Est et Hawaii) et toute les chaînes de type « network » (comme NBC qui a l'exclusivité des JO) diffusent des programmes différents en fonction de l'heure locale des grandes métropoles américaines. Les chaînes non cablées sont en fait extrêmement rares, et sont toutes régionales, avec un très petit budget. Elles ne diffusent en général que quelques heures par jour. Pour info, aux États-Unis, il n'y a pas de chaîne nationale non-cablée.
J'aimerais ajouter qu'il n'y a q'une seule chaîne dite « publique » aux États-Unis (et d'ailleurs câblée, fonctionnant en réseau comme NBC), vivant en partie sur des fonds publics mais aussi largement sur donation des téléspectateurs. La programmation sur cette chaîne est majoritairement éducative et culturelle, et est malheureusement largement boudée par le public américain. Le système de diffusion américain n'a pas changé depuis des années, ce n'est pas nouveau, d'autant que la chaîne NBC à l'exclusivité des JO depuis 5 ans et va la garder jusqu'a 2008 au moins.
Le problème soulevé par cette lectrice du Petit Bouquet est donc un faux problème, ce n'est pas celui d'une chaîne câblée ou non. Non, le vrai problème serait plutôt celui des droits de retransmission exorbitants payes par NBC au CIO pour le contrat d'exclusivité (3.5 milliards de dollars pour couvrir tous les JO jusqu'aux jeux d'été de 2008 inclus), et la loi du marché audiovisuel aux US (la même qu'en France d'ailleurs!) contraignant l'évènement sportif des JO à ne pas être toujours retransmis en direct, afin de ne pas compromettre la diffusion d'émissions à grande écoute plus lucratives. Cette même loi du marché contraint aussi NBC à diffuser des spots publicitaires toutes les 8 minutes pendant la retransmission des JO, ce que je trouve extrêmement pénible pour ma part, mais que les Américains trouvent tout à fait normal. Ce système est en place depuis 30 ans, et les Américains n'en sont pas particulièrement frustrés. Pour ce qui est des JO, il y a toujours l'occasion de regarder les résumés de la journée en soirée, et malgré tout, une grande partie des événements est retransmise en direct, pour peu que des athlètes américains soient directement en compétition pour des médailles.
Je vis dans la région de Los Angeles depuis 6 ans, et je ne suis pas fan de TV américaine du tout. Sur 50 chaînes (câblées) reçues EN MOYENNE par les Américains (pour 360 dollars par an), il est rare de trouver 2 émissions intéressantes au même moment, tellement ces émissions se font rares (y compris sur les chaînes dites culturelles classiques Discovery Channel et Learning Channel, qui ne sont en fait qu'une parodie de chaîne éducative). Il y a donc ici un problème de déchet dans la qualité de l'audiovisuel américain plutôt qu'un problème de capacité à recevoir telle ou telle chaîne.
La culture télévisuelle des Américains est axée sur l' « entertainment » (la télé loisir), absente de toute autocritique sincère, et l'éducation de 300 millions d'Américains s'en fait ressentir. L'impact culturel est majeur, ce qui est en fait un réel problème de société, et ce qui explique notamment l'isolement des US en matière de politique extérieure, et de capacité à comprendre le fonctionnement d'autres pays, surtout lorsque ces pays fonctionnent sur un modèle différent du leur.
Par conséquent, le problème majeur n'est pas la liberté de l'audiovisuel américain elle-même mais les mentalités (à tous les niveaux, auditeurs et médias) qui encouragent la diffusion d'émissions médiocres mais rentables car populaires, en place d'émissions plus sérieuses mais moins lucratives. On entre alors dans un sujet bien plus vaste et complexe: celui de l'éducation (notamment sur le rôle social de l'argent), mais certainement pas celui d'un système de médias. Ce système de médias n'est qu'une conséquence logique du système culturel américain tout entier.
Enfin, à titre de conclusion, j'aimerais donner l'exemple de l'exclusivité de Canal+ pour la retransmission des matchs de football de D1 et de coupe d'Europe. Beaucoup d'amateurs de foot sont mécontents de ne pas voir assez de matchs de championnat et de Ligue des champions sur les chaînes dites gratuites (sic). A-t-on pour autant mis en cause l'existence de Canal+ ? Par ailleurs combien de Français sont-ils contents d'avoir autre chose que du foot sur les chaînes non-payantes? Cela on ne le dit pas. Pourtant il y en a beaucoup. Je viens de donner un exemple parmi d'autres. Pour rester dans le sport, je ne parle même pas de la diffusion inexistante de Wimbledon, Flushing Meadow, et Melbourne (tennis) sur une chaîne non-payante. Alors disons-le franchement: il y a toujours des mécontents, et ce n'est pas nouveau. Avant de mettre un système de media en cause (i.e., celui des États-Unis à propos des JO) regardons d'abord le notre, et essayons de faire la part des choses. Il serait sympa que le Petit Bouquet corrige la désinformation sur la retransmission des JO par une chaîne dite câblée. Croyez-moi, les Américains ne sont pas frustrés du tout.
Thierry Leblanc, Los Angeles, leblanc@tmf.jpl.nasa.gov