14-18 - Programme V2 (23 octobre 2017)
La guerre, la Der des Ders, ( !) rapportée par ceux qui l’ont faite
Chanson : la Strasbourgeoise
1 – Charles PEGUY texte prémonitoire
Piano – Moussorgski : Bydlo (tableaux d’une exposition)
2 – Blaise CENDRARS – J’ai tué
– J’ai saigné
3 – Jean COCTEAU – Thomas l’Imposteur
JBernard (guitare) : F.LEMARQUE, Quand un soldat… (avec tambour)
4 –Roger MARTIN du GARD – les Thibault (III)
5 – Roland DORGELÈS – Les Croix de Bois
Gildas : Apollinaire – Si je mourais là-bas (Jean Ferrat)
6 – Guillaume APOLLINAIRE – Les mamelles de Tirésias
7 – Victor SEGALEN - Stèles occidentées – Du bout du sabre
Piano – Beethoven – Marche funèbre (2ème mvmt sonate 12è sonate, opus 26)
8 - Henri BARBUSSE – le Feu
Gildas (+ JJacques, Guy, JBernard) la chanson de Craonne
9 – Georges DUHAMEL – Correspondance avec sa femme Blanche
10 – Lettres du front, réponses des femmes
Jean-Jacques : Florent PAGNY – Un soldat
11 – Erich Maria REMARQUE – À l’ouest, rien de nouveau
Elisabeth : Lili Marlène/la Madelon (Gildas à l’harmonica + JJacques )
12 – Ernst JÜNGER - Carnets
13 – La guerre vue des autorités
14 - Ernest HEMINGWAY, l’Adieu aux Armes
Piano – SIBELIUS étude
15 - Maurice GENEVOIX – Ceux de 14
16 - Louis Ferdinand CÉLINE – Le voyage au bout de la nuit
17 – Raymond RADIGUET – le Diable au corps
Piano – CHOPIN - Nocturne
18 – Pierre LOTI – Soldats bleus
Jean-Bernard (guitare) : le petit soldat (composée par lui-même)
19 – Henri de MONTHERLANT – Chant funèbre pour les morts de Verdun
20 - Jean GIONO – Le Grand Troupeau
Jean-Bernard (avec guitare) : BRASSENS – la guerre de 14-18
21 – Blaise CENDRARS – Le jour de la victoire
Chant : Gildas, Douce paix, R. HAHN
Chant : Canon de la paix
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La strasbourgeoise
Petit papa, c'est donc la mi-Carême
Et te voici déguisé en soldat.
Petit papa, dis moi si c'est pour rire,
Ou pour faire peur aux tous petits enfants. } bis
Non non ma fille, je pars pour la Patrie,
C'est un devoir où tous les papas s'en vont.
Embrasse moi petite fille chérie,
Je rentrerais bien vite à la maison. } bis
Dis moi maman, quelle est cette médaille,
Et cette lettre qu'apporte le facteur ?
Dis moi maman, tu pleures et tu défailles,
Ils ont tué petit père adoré. } bis
Oui mon enfant, ils ont tué ton père,
Pleure avec moi, car nous les haïssons.
Quelle guerre atroce qui fait pleurer les mères,
Et tue les pères des petits anges blonds. } bis
La neige tombe aux portes de la ville,
Là est assise une enfant de Strasbourg.
Elle reste là malgré le froid, la bise,
Elle reste là malgré le froid du jour. } bis
Un homme passe, à la fillette donne,
Elle reconnaît l'uniforme allemand.
Elle refuse l'aumône qu'on lui donne,
A l'ennemi elle dit bien fièrement : } bis
Gardez votre or, je garde ma puissance,
Soldat prussien, passez votre chemin.
Moi je ne suis qu'une enfant de la France,
A l'ennemi je ne tends pas la main. } bis
Tout en priant sous cette cathédrale,
Ma mère est morte sous ce porche écroulé.
Frappée à mort par l'une de vos balles,
Frappée à mort par l'un de vos boulets. } bis
Mon père est mort sur vos champs de batailles,
Je n'ai pas vu l'ombre de son cercueil.
Frappé à mort par l'une de vos balles,
C'est la raison de ma robe de deuil. } bis
Vous avez eu l'Alsace et la Lorraine,
Vous avez eu des millions d'étrangers.
Vous avez eu Germanie et Bohème,
Mais mon p'tit coeur vous ne l'aurez jamais,
Mais mon p'tit coeur il restera français. } bis
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1 - Charles PEGUY - Heureux les épis mûrs (extrait d’Ève)
Ce texte extrait du long poème Ève est écrit fin 1913, publié par Péguy lui-même dans les Cahiers
de la Quinzaine en mai 1914… comme le pressentiment de sa propre mort. Lieutenant de réserve,
le normalien dreyfusard, le républicain mystique, le pèlerin blessé ruminant des vers sublimes, le
bon Français de l’espèce ordinaire, le patriote révolutionnaire, Péguy le visionnaire parti en
campagne dès la mobilisation, est tué un mois plus tard, à l’âge de 41 ans, au début de la bataille
de la Marne, à Villeroy, près de Meaux, le 5 septembre 1914.
Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle.
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu,
Parmi tout l’appareil des grandes funérailles.
……
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,
Et les pauvres honneurs des maisons paternelles.
……..
Heureux ceux qui sont morts dans ce couronnement
Et cette obéissance et cette humilité.
Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés
Dans la première argile et la première terre.
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre.
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés.
Piano – Moussorgski : Bydlo (tableaux d’une exposition)
2 – Blaise CENDRARS – J’ai tué
De nationalité suisse, engagé comme étranger volontaire puis versé dans la Légion Étrangère,
Blaise Cendrars est grièvement blessé le 28 septembre 1915 et amputé du bras droit. Réformé, il
écrit La main coupée, et deux longues nouvelles, J’ai tué et J’ai saigné.
Les collines dégringolent. La nuit cède sous cette poussée. Le rideau se déchire. Tout
pète, craque, tonne, tout à la fois. Embrasement général. Mille éclatements. Des feux,
des brasiers, des explosions. C’est l’avalanche des canons. Le roulement. Les
barrages. Le pilon. Sur la lueur des départs se profilent éperdus des hommes
obliques, l’index d’un écriteau, un cheval fou. Battement d’une paupière. Clin d’œil
au magnésium. Instantané rapide. Tout disparaît. On a vu la mer phosphorescente des
tranchées, et des trous noirs. Nous nous entassons dans les parallèles de départ, fous,
creux, hagards, mouillés, éreintés et vannés. Longues heures d’attente. On grelotte
sous les obus. Longues heures de pluie. Petit froid. Petit gris. Enfin l’aube en chair de
poule. Campagnes dévastées. Herbes gelées. Terres mortes. Cailloux souffreteux.
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Barbelés crucifères. L’attente s’éternise. Nous sommes sous la voûte des obus… Une
arche s’ouvre sur nos têtes. Les sons en sortent par couple, mâle et femelle.
Grincements. Chuintements. Ululements. Hennissements. Cela tousse, crache, barrit,
hurle, crie et se lamente. Chimère d’acier et mastodontes en rut.
Sifflet d’argent. Le colonel s’élance les bras ouverts. C’est l’heure H. On part à
l’attaque la cigarette aux lèvres. Aussitôt les mitrailleuses allemandes tictaquent. Les
balles crépitent. On avance en levant l’épaule gauche, l’omoplate tordue sur le
visage, tout le corps désossé pour arriver à se faire un bouclier de soi-même. On a de
la fièvre plein les tempes et de l’angoisse partout. On est crispé. Mais on marche
quand même. Il n’y a plus de bluff. Le fanfaron se fait petit. L’âne brait. Le lâche se
cache. Le faible tombe sur les genoux. Le voleur vous abandonne. Le froussard se
carapate dans un trou. Il y en a qui font le mort. Et il y a toute la bande des pauvres
bougres qui se font bravement tuer sans savoir comment ni pourquoi. Et il en tombe !
Et moi, voilà qu’aujourd’hui j’ai le couteau à la main. J’ai bravé la torpille, le canon,
les mines, le feu, les gaz, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme,
démoniaque, systématique, aveugle. Je vais braver l’homme. Mon semblable. Œil
pour œil, dent pour dent. À nous deux maintenant ! À coup de poing, à coups de
couteau. Sans merci. J’ai tué le Boche. J’étais plus vif et plus rapide que lui. Plus
direct. J’ai frappé le premier. J’ai le sens de la réalité, moi, poète. J’ai agi. J’ai tué.
Comme celui qui veut vivre.
2 bis – Blaise Cendrars, J’ai saigné !
1915 – En champagne. Un hôpital. Blaise Cendrars n’a plus de bras droit. On l’a amputé. On le
trimballe vers l’arrière dans un taxi avec d’autres blessés.
- Maman ! Maman ! gueulait l’homme couché au-dessus de moi. O maman !
On l’emmène dans une maison religieuse transformée en hôpital d’évacuation.
Partout, tout le temps, sans cesse, la douleur. Et par-dessus l’atrocité du lieu,
l’humanité, malgré tout, l’humanité sublime de ceux qui soignent.
Et l’infirmière sortait pleine de foi, vaquer à ses autres travaux, pour revenir deux,
trois heures après faire risette à l’homme-poupon et recommencer à lui réapprendre
tout par le commencement avec une merveilleuse, une angélique, une inépuisable et
radieuse patience.
Cendrars a pour compagnon de chambre un berger landais qui a reçu 72 éclats d’obus dans le
bas des reins.
Pauvre gosse ! C’est ce petit berger des Landes qui m’a fait comprendre que si
l’esprit humain a pu concevoir l’infini c’est que la douleur du corps humain est
infinie et que l’horreur elle-même est illimitée et sans fond.
Au milieu de cette litanie de cris, Blaise Cendrars refait surface. Il se met à boxer avec son
moignon. Son bras cicatrise à une vitesse-record. Dans son lit, il s’entraîne à jongler avec de
menus objets, avec des oranges, il apprend à se servir de sa main gauche.
Grâce à quoi, aujourd’hui, je pilote aussi bien mon automobile de course que j’écris à
la machine ou sténographie de la main gauche, ce qui me vaut de la joie.
Au milieu de l’horreur absolue de la guerre, l’absolue nécessité de choisir la vie s’est imposée à
l’aventurier, au reporter, à l’écrivain qu’était Blaise Cendrars.!
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3 - Jean COCTEAU – Thomas l’imposteur. (1923)
Cocteau a 25 ans lorsque la guerre éclate. Il part comme ambulancier sur le front belge. Dans ce
roman, Thomas l’imposteur, il révèle une autre réalité de la guerre : le chaos général qui permet
l’imposture. Description alerte d’un monde fou dans lequel Thomas se fait passer pour sous-
officier et neveu de général. !
La guerre commença dans le grand désordre. Ce désordre ne cessa point, d’un
bout à l’autre. Car une guerre courte eût pu s’améliorer et, pour ainsi dire, tomber de
l’arbre, tandis qu’une guerre prolongée par d’étranges intérêts, attachée de force à la
branche, offrait toujours des améliorations qui furent autant de débuts et d’écoles.
Le gouvernement venait de quitter Paris, ou, suivant la formule naïve d’un de
ses membres : de se rendre à Bordeaux pour organiser la victoire de la Marne.
Cette victoire, mise sur le compte du miracle, s’explique à merveille. Il suffit
d’avoir été en classe. Les polissons l’emportent toujours sur les forts-en-thème, pour
peu qu’une circonstance empêche ces derniers de suivre aveuglément le plan qu’ils
se sont fait. Toujours est-il que le désordre vivace, vainqueur de l’ordre massif, n’en
était pas moins du désordre. Il favorisa l’extravagance.
JBernard (guitare-tambour)F.LEMARQUE, Quand un soldat
Fleur au fusil tambour battant il va !
Il a vingt ans un coeur d'amant qui bat!
Un adjudant pour surveiller ses pas!
Et son barda contre son flanc qui bat
Quand un soldat s'en va t-en guerre il a!
Dans sa musette son baton d'maréchal!
Quand un soldat revient de guerre il a !
Dans sa musette un peu de linge sale
Partir pour mourir un peu!
A la guerre à la guerre!
C'est un drôle de petit jeu!
Qui n'va guère aux amoureux
Pourtant c'est presque toujours!
Quand revient l'été qu'il faut s'en aller!
Le ciel regarde partir ceux qui vont mourir!
Au pas cadencé
Des hommes il en faut toujours!
Car la guerre car la guerre!
Se fout des serments d'amour!
Elle n'aime que l'son du tambour
Quand un soldat s'en va-t-en guerre il a!
Des tas d'chansons et des fleurs sous ses pas!
Quand un soldat revient de guerre il a!
Simplement eu d'la veine et puis voilà
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4 – Roger Martin du Gard – les Thibault (III)
En 1914, affecté comme fourrier, attaché au 1er corps de cavalerie, Roger Martin du Gard est
témoin des atrocités du front, mais pacifiste, idéaliste, il refuse d’écrire sur le sujet. C’est
tardivement en 1935-1936 qu’il rédige les deux derniers volumes de ce roman fleuve, les
Thibault. L’été 14 et l’Épilogue sont consacrés à la Grande Guerre. L’écrivain mêlant la fresque
historique à la fresque sociale, y ressuscite, selon ses propres termes, l’atmosphère du temps, à
savoir l’agitation pacifiste internationale, autour de Jacques, le plus jeune des deux frères, qui
sera abattu comme espion par des soldats français, et d’Antoine, l’aîné, pédiatre, gazé à l’ypérite.
Antoine vient d’acheter quelques journaux. Il est dans un taxi, en compagnie de Rumelles, un
diplomate faisant partie de ses relations. !
A – Bourrage de crâne !
R – Bien sûr, bourrage de crâne ! Comment ne comprenez-vous pas que
l’approvisionnement régulier en nouvelles rassurantes est aussi essentiel pour le pays
que le ravitaillement en vivres ou en munitions ?
A - C’est vrai, vous avez charge d’âmes !
R – Allons, allons, Thibault, soyez sérieux. Réfléchissez. Que peut un gouvernement
en guerre ? Diriger les événements ? Vous savez bien que non. Mais diriger
l’opinion ? Ça oui : c’est même la seule chose qu’il puisse faire ! Eh bien, nous nous
y employons. Il faut bien alimenter sans cesse la foi de la nation en sa victoire
finale…
A – Et tous les moyens vous sont bons !
R – Bien sûr !
A – Le mensonge organisé !
R – Franchement, croyez-vous possible de laisser dire – je ne sais pas, moi … que le
fameux torpillage du Lusitania était, à tout prendre, un acte de représailles
parfaitement justifié, une très bénigne réponse, en somme, à ce blocus implacable qui
a déjà tué, en Allemagne et en Autriche, dix ou vingt mille fois plus de femmes et
d’enfants qu’il n’y en avait sur le Lusitania ?... Non, non, la vérité est très rarement
bonne à dire ! Il est indispensable que l’ennemi ait toujours tort, et que la cause des
Alliés soit la seule juste ! Il est indispensable…
A – … de mentir !
R – Oui, ne fût-ce que pour cacher à ceux qui se battent ce qui se trame à l’arrière !
Ne fût-ce que pour cacher à ceux de l’arrière les choses effroyables qui se passent au
front !... Mais oui, mon cher ! Aussi le plus clair de notre activité est-elle employée…
pas seulement à mentir, comme vous dites, mais à bien mentir ! Ce qui n’est pas
toujours facile, veuillez le croire ! Ce qui exige une longue expérience et une
ingéniosité, un esprit d’invention qui ne soient jamais à court. Il y faut une espèce de
génie… Et, je puis l’affirmer, l’avenir nous rendra justice ! Dans ce domaine du
mensonge utile, nous avons en France accompli des prodiges depuis quatre ans !...
Tenez, je me rappelle la semaine de l’offensive Nivelle, en avril 17… Vous
n’imaginez pas ce que cela a pu être pour nous qui savions tout, heure par heure…
qui assistions à cette accumulation de fautes… qui pouvions calculer, chaque soir, le
total des pertes ! Trente-quatre mille tués, plus de quatre-vingt mille blessés, en
quatre ou cinq jours !... Et la rébellion de ces régiments décimés !... Pourtant, il ne
s’agissait ni d’être véridiques ni d’être justes ; Il fallait, coûte que coûte soutenir le
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commandement, camoufler ses fautes, sauvegarder son prestige… Pire encore : il
fallait, sciemment, persévérer dans l’erreur et reprendre l’offensive, et jeter d’autres
divisions dans la fournaise, et sacrifier vingt ou vingt-cinq mille nouveaux soldats au
Chemin des Dames !
A – Mais pourquoi ? !
R – Pour obtenir un petit succès, si mince fût-il, sur lequel nous puissions greffer le
mensonge salutaire, et redresser la confiance qui flanchait de toutes parts… Enfin,
nous avons eu l’heureux coup de main de Craonne. Nous avons pu en faire une
éclatante victoire, nous étions sauvés !
5 – Roland Dorgelès – les Croix de bois!! !
Bien que deux fois réformé, Dorgelès, critique d’art et journaliste, s’engage en se faisant appuyer
par Clémenceau, son patron au journal l’Homme Libre. Il est versé dans l’infanterie et se bat en
Champagne, est blessé, puis suit une formation de pilote, de nouveau blessé lorsque son avion
s’écrase. Il écrit les Croix de bois en hommage aux combattants : Je déteste la guerre mais
j’aime ceux qui l’ont faite. Les croix de bois figurent la décoration de ceux qui sont morts au
champ d’honneur, par opposition aux croix de fer, décorations allemandes.
Le quotidien du front. Distribution du courrier… Un tas de colis devant lui comme un éventaire
de camelot, le fourrier appelle les lettres en souffrance, au milieu d’une cohue de soldats qui
jouent des coudes et s’écrasent les pieds. Là se trouvent les gars de la 13è section commandée par
le caporal Bréval.
Le fourrier - Duclou Maurice, 1ère section.
Bréval - Il a été tué à Courcy !
Le fourrier - Vous en êtes sûr ?
Soldat 1 - Oui, des copains l’ont vu tomber devant l’église… Il avait reçu une balle.
Maintenant, hein, j’y étais pas…
Le fourrier – Bon, (il écrit dans un coin de l’enveloppe) « Tué » - Marquette
Edouard…
Soldat 2 (off) - Tué aussi !
Soldat 1 - T’es pas louf ?! Le soir qu’on dit qu’il s’est fait descendre, il est allé à
l’eau avec moi. À mon idée, il a été blessé.
Le fourrier – Alors, il serait à l’hôpital. Mais on n’a pas reçu sa fiche.
Soldat 1 – Peut-être qu’il a été évacué par un autre régiment ou que les Boches l’ont
ramassé.
Bréval – Tu peux pas un peu la fermer ? C’est malheureux, c’est toujours ceux qui
ont rien vu qui ont le plus de gueule !
Le fourrier – J’m’en fous. Je le porte « disparu »…. Brunet André, 13è escouade…
Soldat 2 (en off) - Présent pour lui.
Le fourrier - Dorval Joseph 13è escouade…
Bréval – C’est pas pour moi, des fois ? Bréval, caporal Bréval…
Le fourrier – J’ai dit Dorval, pas Bréval !
Bréval : Vous auriez pu lire de travers ! C’est que ma femme écrit si mal, hein, ça
n’aurait rien de drôle.
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Bréval – À propos, Demachy, c’est ton tour de corvée. Tu prendras un sac et tu iras
aux distributions…
Soldat 1 – De quoi ? Le nouveau aux distributions… Tu te fous de nous ! Un gars qui
débarque, qui croit que les carottes ça pousse chez le fruitier, c’est tout ce que tu
trouves pour envoyer aux distribes. Ah ! t’en connais des combines… SI les cons
nageaient, t’aurais pas besoin de bateau pour traverser la Seine.
Bréval – Si tu veux y aller, je ne t’empêche pas !
Soldat 1 – Sûrement que j’irai ! J’irai parce que je veux pas que l’escouade bouffe
avec les chevaux de bois et que le gars m’a l’air foutu de choisir un morceau de
barbaque comme moi de dire la messe.
Demachy (off) – Pardon, je vous assure que je saurai très bien. À la caserne…
Soldat 1 – À la caserne !... Il s’croit encore à la caserne, l’autre crâne d’alouette… Ça
débarque du dépôt et ça veut en remontrer à nous autres !... Eh bien ! Vas-y, aux
distributions, tiens, on rigolera… Les gars sont toujours sûrs de se mettre une belle
corde. Moi, je m’en colle, je m’débrouillerai pour moi. Non mais, v’là le gars qu’on
envoie aux distributions pour une escouade ! B4&-%!%$!*<&'.+.*!1$'%!C$#+5DEF
Comme de juste, c’te bille de caporal – tiens, évanoui… ça ne fait rien, il est encore
parti écrire à sa bourgeoise… Peau de fesse, va ! – comme ça donc, le capo t’a pas
dit de prendre le seau ou les bouteillons pour le pinard ! Alors, dans quoi que tu veux
l’emporter ? Dans tes grolles ? Heureusement que j’y ai pensé ! V’là un seau et j’ai
pris un bidon, pour s’il y avait de l’eau-de-vie… Et on parle de chasser les Boches ?
Laissez-moi me marrer ! Non, quelle armée !
Chanson : Gildas : Apollinaire – Si je mourais là-bas (Jean Ferrat)
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6 – Les mamelles de Tiresias – Apollinaire
Une œuvre étrange, surréaliste, opéra-bouffe créé en 1917 sur une musique de Francis Poulenc.
L’argument traduit la pertinence du jugement d’Apollinaire sur la guerre à laquelle il a
participé, il a été blessé à la tête, trépané. Le poète est préoccupé par l’après-guerre qui n’est
pas encore pourtant, et qu’il ne connaîtra pas, mourant de la grippe espagnole deux jours
avant l’armistice…
Me voici donc revenu parmi vous…
J’ai fait la guerre ainsi que tous les hommes
C’était au temps où j’étais dans l’artillerie
Je commandais au front du nord ma batterie
Un soir que dans le ciel le regard des étoiles
Palpitait comme le regard des nouveau-nés
Mille fusées issues de la tranchée adverse
Réveillèrent soudain les canons ennemis
Je m’en souviens comme si cela s’était passé hier
J’entendais les départs mais non les arrivées
La portée des canons était si grande
Que l’on n’entendait plus aucun éclatement
Et tous mes canonniers attentifs à leurs postes
Annoncèrent que les étoiles s’éteignaient une à une
Puis l’on entendit de grands cris parmi toute l’armée
ILS ÉTEIGNENT LES ÉTOILES À COUPS DE CANON
Les étoiles mouraient dans ce beau ciel d’automne
Comme la mémoire s’éteint dans le cerveau
Nous ne savions plus que dire avec désespoir
QU’ILS ONT MÊME ASSASSINÉ LES ÉTOILES
Mais une grande voix venue d’un mégaphone
Dont le pavillon sortait
De je ne sais quel unanime poste de commandement
La voix du capitaine inconnu qui nous sauve toujours cria
IL EST GRAND TEMPS DE RALLUMER LES ÉTOILES
Et ce ne fut qu’un cri sur le grand front français…
Le poète s’interroge sur deux conséquences fondamentales de la guerre : l’hécatombe et
parallèlement l’émancipation de la femme et la montée du féminisme. Thérèse ne veut plus faire
d’enfants…
Écoutez ô Français la leçon de la guerre
Et faites des enfants vous qui n’en faisiez guère
GD3'0%$!H!Non, Monsieur mon mari
Vous ne me ferez pas faire ce que vous voulez
Je suis féministe et je ne reconnais pas l’autorité de l’homme
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Du reste je veux agir à ma guise
Il y a assez longtemps que les hommes font ce qui leur plaît
Après tout je veux aussi aller me battre contre les ennemis
J’ai envie d’être soldat une deux une deux
Je veux faire la guerre – Tonnerre – et non pas faire des enfants
Non Monsieur mon mari vous ne me commanderez plus
7$!#+'-!I!Donnez-moi du lard, je te dis, donnez-moi du lard
GD3'0%$!I!Vous l’entendez il ne pense qu’à l’amour
Mais tu ne te doutes pas imbécile
Qu’après avoir été soldat je veux être artiste
Parfaitement parfaitement
Je veux être aussi député avocat sénateur
Ministre président de la chose publique
Et je veux médecin physique ou bien psychique
Diafoirer à mon gré l’Europe et l’Amérique
Faire des enfants faire la cuisine non c’est trop
Je veux être mathématicienne philosophe chimiste
7$!#+'-!I!Donnez-moi du lard je te dis donnez-moi du lard
GD3'0%$!I!Vous l’entendez il ne pense qu’à l’amour
… Mais il me semble que la barbe me pousse
Ma poitrine se détache
Envolez-vous oiseaux de ma faiblesse
Et cætera
Comme c’est joli les appâts féminins
C’est mignon tout plein
Mais trêve de bêtises
Débarrassons-nous de nos mamelles
Je me sens virile en diable
Et toi mari moins viril que moi
7$!#+'-!I!Je veux du lard je te dis!
Thérèse ma petite Thérèse où es-tu
GD3'0%$!I!Je ne suis plus ta femme
7$!#+'-!I!Par exemple
GD3'0%$!I!Et cependant c’est moi qui suis Thérèse
7$!#+'-!I!Par exemple
GD3'0%$!I!Mais Thérèse n’est plus femme
7$!#+'-!I!C’est trop fort
GD3'0%$!I!Et comme je suis devenu un beau gars
7$!#+'-!I!Détail que j’ignorais
GD3'0%$!I!Je porterai désormais un nom d’homme : Tiresias
7$!#+'-!I!Adiousias Adiousias
!!
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7 – Victor SEGALEN – Stèles occidentées (3) Du bout du sabre
Victor Segalen est âgé de 36 ans lorsqu’éclate le conflit. Médecin d’une brigade de fusiliers
marins, puis directeur-adjoint de l’hôpital militaire de Brest, romancier, poète, sinologue,
ethnologue, archéologue, il effectue en 1917 sur l’ordre du Ministère, une mission en Chine,
pays qu’il connait bien, pour y recruter des ouvriers chinois destinés à remplacer ceux qui
combattent sur le front en Europe. Les Stèles occidentées, écrites sur la guerre, sont imprégnées
de culture chinoise. !
Nous autres, sur nos chevaux, n’entendons rien aux semailles. Mais toute terre
labourable au trot, qui se peut courir dans l’herbe,
Nous l’avons courue.
Nous ne daignons point bâtir murailles ni temples, mais toute ville qui se peut brûler
avec ses murs et ses temples,
Nous l’avons brûlée.
Nous honorons précieusement nos femmes qui sont toutes d’un très haut rang. Mais
les autres qui se peuvent renverser, écarter et prendre,
Nous les avons prises.
Notre sceau est un fer de lance, notre habit de fête une cuirasse où la rosée
cristallise : notre soie est tissée de crins. L’autre, plus douce, qui se peut vendre,
Nous l’avons vendue.
Sans frontières, parfois sans nom, nous ne régnons pas, nous allons. Mais tout ce que
l’on taille et fend, ce que l’on cloue et qu’on divise…
Tout ce qui peut se faire, enfin, du bout du sabre,
Nous l’avons fait.
Piano – Beethoven – Marche funèbre (2ème mvt 12è sonate, opus 26)
8 – Henri BARBUSSE – Le Feu
En 1914, âgé de 41 ans, sérieusement atteint de problèmes pulmonaires, Henri Barbusse se porte
volontaire dans l’infanterie, malgré son pacifisme avoué d’avant-guerre, et participe aux
combats en première ligne. À la fin de la guerre, il quitte la France et s’installe à Moscou. Cet
extrait de son livre le Feu choque aujourd’hui, mais il convient de le remettre en perspective,
dans un contexte les mots, les jugements n’étaient pas ce qu’ils sont. Ce texte est à prendre
comme un hommage à ces hommes qui ont combattu pour nous, qui sont morts pour nous. (Les
Tabors : régiments de goumiers marocains)
Dans le crépuscule, un piétinement roule ; une rumeur, puis une autre troupe se fraye
passage.
- Des tabors !
Ils défilent avec leurs faces bises, jaunes ou marron, leurs barbes rares, ou drues et
frisées, leurs capotes vert jaune, leurs casques frottés de boue qui présentent un
croissant à la place de notre grenade. Dans les figures épatées ou, au contraire,
anguleuses et affûtées, luisantes comme des sous, on dirait que les yeux sont des
billes d’ivoire et d’onyx. De temps en temps, sur la file, se balance, plus haut que les
autres, le masque de houille d’un tirailleur sénégalais.
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On les regarde et on se tait. On ne les interpelle pas, ceux-là. Ils imposent, et même
font un peu peur. Pourtant, ces Africains paraissent gais et en train. Ils vont,
naturellement, en première ligne. C’est leur place, et leur passage est l’indice d’une
attaque très prochaine. Ils sont faits pour l’assaut.
Soldat français 1 - Eux et le canon 75, on peut dire qu’on leur z’y doit une
chandelle ! On l’a envoyée partout en avant dans les grands moments, la Division
marocaine !
Soldat français 2 - Ils ne peuvent pas s’ajuster à nous. Ils vont trop vite. Et plus
moyen de les arrêter…
De ces diables de bois blond, de bronze et d’ébène, les uns sont graves, leurs faces
sont inquiétantes, muettes, comme des pièges qu’on voit. Les autres rient, leur rire
tinte, tel le son de bizarres instruments de musique exotique, et montre les dents.
Et on rapporte (des traits de Bicots, sic !) leur acharnement à l’assaut, leur ivresse
d’aller à la fourchette, leur goût de ne pas faire de quartier. On répète les histoires
qu’ils racontent eux-mêmes volontiers, et tous un peu dans les mêmes termes et avec
les mêmes gestes : ils lèvent les bras : « Kam’rad, kam’rad ! » « Non, pas
Kam’rad ! » et ils exécutent la mimique de la baïonnette qu’on lance devant soi, à
hauteur du ventre, puis qu’on retire, d’en bas, en s’aidant du pied.
Un des tirailleurs entend, en passant, de quoi on parle. Il nous regarde, rit largement
dans son turban casqué et répète, en faisant non de la tête « pas kam’rad, non pas
kam’rad, jamais ! Couper cabèche ! »
Soldat français 1- i’ sont vraiment d’une autre race que nous, avec leur peau de toile
de tente ! Le repos les embête, tu sais, ils vivent que pour le moment où l’officier
remet sa montre dans sa poche et dit « allez, partez ! »
Soldat français 2- Au fond, ce sont de vrais soldats ;
Soldat français 3 -Nous ne sommes pas des soldats, nous, nous sommes des hommes.
Ils sont des hommes, des bonshommes quelconques arrachés brusquement à la vie.
Comme des hommes quelconques pris dans la masse, ils sont ignorants, à vue
bornée, pleins d’un gros bon sens qui, parfois, déraille. Enclins à se laisser conduire
et à faire ce qu’on leur dit de faire, résistants à la peine, capables de souffrir
longtemps. Ce sont de simples hommes qu’on a simplifiés encore…
Chanson de Craonne (Gildas+ Jacques, Guy, Bernard)!
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Gildas (+ JJacques, Guy, JBernard) la chanson de Craonne
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!
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9 - Georges DUHAMEL – Correspondance avec Blanche
Duhamel, médecin, écrivain, est mobilisé à l’âge de 30 ans, comme chirurgien dans une
ambulance du front. Il nous livre dans Vie des Martyrs, un témoignage pathétique sur l’immense
tragédie physique et humaine de la guerre. La correspondance échangée durant le conflit avec
Blanche, sa femme, a été conservée et publiée. Un bref extrait nous fournit une belle
introduction aux lettres de Poilus et réponses de l’arrière.
Georges, 29 décembre 1915
Mon cher petit Blan. Au moment de la déclaration de guerre, tu as eu une parole
pleine de caractère et que je me rappelle. Tu as dit : « je ne suis pas fâchée d’avoir à
me mesurer avec de grands événements ». Eh bien, voici dix-huit mois de passés. Les
grands événements sont venus. Nous sommes parmi ceux qu’ils ont le moins
frappés ; Tu sais cela aussi bien que moi et comment une grande chance nous permet
d’arriver à cette époque en n’ayant qu’un cher ami à pleurer, alors que toutes les
familles sont diminuées, alors que tant d’hommes survivent au prix d’une infirmité
pénible ou même incompatible avec le bonheur ; Il est vrai que nous subissons une
séparation qui est pour nous deux un réel supplice, mais la certitude qu’un haut
devoir commande cette séparation permet de regarder en face les heures les plus
dures, ton Georges
Blanche, 30 décembre 1915
Mon Georges chéri. Tu me reproches, mon amour, ma tristesse en ce moment ;
Comment veux-tu qu’il en soit autrement ? N’ai-je pas bien des raisons pour me
tourmenter et quand je pense que tu es, relativement aux autres, à l’abri je me
considère comme étant bien heureuse ; Je me demande comment les autres peuvent
supporter cette inquiétude. ?
Mon Georges chéri que je te voudrais, que je voudrais appuyer ma tête sur toi. Je me
rappelle aussi le jour où j’avais du chagrin, une gronderie de notre fils, et où tu as
mis ma tête sur ton épaule, en me disant que c’était là maintenant que je devais
pleurer ; Il y a bien longtemps ; Depuis j’ai retrouvé souvent cette place. Nos
bonheurs, nos chagrins, tout ne fait qu’un depuis longtemps et maintenant je suis loin
de toi et je ne sais plus où appuyer ma tête.
10 – Lettres du front et lettres de femmes
La grande guerre entraîne un brassage linguistique tout à fait nouveau. Bien que le français soit
la langue qui devait réunir les soldats, la langue symbole de la nation, les langues régionales et
les patois, outre les langues étrangères, la langue de l’ennemi, mais aussi l’anglais, l’arabe, le
peuhl, le wolof etc, sont parlés dans les tranchées. Ces conversations sont perdues pour nous
aujourd’hui. Il reste la correspondance. Contrairement aux idées reçues, le taux d’illettrisme
n’est en 1914 que de 3 à 4 %, soit deux fois moins important qu’aujourd’hui. Toutefois, la
plupart des soldats déchiffrent plus qu’ils ne lisent couramment, ils sont classés 3, c’est-à-dire
qu’ils n’ont pas le certificat d’études. Ils s’expriment en français qui leur est imposé mais qu’ils
ne le maîtrisent pas parfaitement à l’oral, à plus forte raison à l’écrit ! L’argot s’impose comme
langue commune, argot des tranchées dont de nombreux mots sont restés dans notre langue. Un
exemple :
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Le cabot-trompion (caporal-clairon) est un pépère qu’a du cran. Il s’ tapait le chou
(mangeait) sous les marmites (obus de gros calibres allemands), que ça canardait
sec. Sachi, qu’i disait ! Sachi (ça chie). De not’ côté les macavoués (obus de gros
calibres français) radinaient (tombaient) et ça bardait chez les Boches. Quand l’a
fallu, on a foncé sur l’ Fritz (l’allemand) à la fourchette (baïonnette) c’est louf
(loufoque) de les voir mettre les triques tant qu’i peuvent (se sauver). Mais faut finir
le boulot car c’est qu’on est d’ foutus lascars ! (de l’arabe, el askir, fantassin). Y avait
l’adjupète (adjudant) des arbis (soldats arabes) qu’était attigé (blessé) au bide (le
ventre). Sûr, direct pour la boîte à dominos (le cercueil, les dominos sont les os).
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Je sais ce que ma décision impose de sacrifices. Mais le moment est venu, il faut
chasser les barbares, les massacreurs de femmes et d’enfants, ceux qui ont détruit
l’héritage artistique de nos aïeux et qui ont voulu rabaisser l’homme au niveau des
sauvages. Il faut chasser tout cela de notre belle France et pas un Français n’est de
trop. Tous nous devons avec résignation donner notre vie à la Patrie tels les Anciens
et nos aïeux de 89, restons dignes d’eux.
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)9D`4-*+)!,$!G&))$!<j!-)!#$&'*!,&!*3*+.<%!(&$)(&$%!N<&'%!4)&%!*+',6!
Bien chère Sylvanie, j’avais bien raison de te dire avant de partir qu’il valait mieux
être mort que d’être blessé, au moins blessé comme moi. Toute la jambe est pleine
d’éclats d’obus et l’os est fracturé. Tous les jours je suis martyr, lorsqu’avec des
pinces, on m’enlève des morceaux d’os ou des morceaux de fer. Bon dieu que je
souffre ! Après que c’est fini, on me donne bien un peu de malaga, mais il me tarde
qu’on en finisse d’un côté ou de l’autre.
Vis en espoir et si jamais je reviens, je verrai mon fils grandir, je le dresserai pour
travailler et moi on me fera bien une petite pension. Prie Dieu pour moi qu’il me
délivre de la souffrance, je t’embrasse bien fort sur chaque joue avec Gaston le petit
chéri, signé : ton cher ami Léon.
7$%!%<),+*%!(&-!+8$.,$.*!+1$5!-#4+M$.5$!&.$!4$'#-%%-<.!$.!'$1-$..$.*!%<&1$.*!
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5<##$!)k5D$!5$)&-!(&-!'$1-$.*!-.,$#.$!,$!)+!=&$''$A!
Ma chère mère, J’avais rêvé avant mon départ en permission que ces six jours
seraient pour moi six jours trop courts de bonheur et que partout je serais reçu les
bras ouverts. Je pensais, avec juste raison je crois, que l’on serait aussi heureux de
me revoir que moi-même je l’étais à l’avance… Mais beaucoup m’ont presque laissé
comprendre qu’ils étaient étonnés que je ne sois pas encore tué… Je vais donc
essayer d’oublier comme on m’a oublié… Puissent les hasards de la guerre ne pas
me faire infirme pour toujours, plutôt la mort, c’est maintenant mon seul espoir.
Adieu, je t’embrasse un million de fois de tout cœur, Gaston
g$.'-H;)>+.!l<&'.-$'/!,-*!;)+-.!l<&'.-$'/!+))+-*!+1<-'!1-.=*HD&-*!+.%!)<'%(&9-)!35'-1+-*!
5$%!)-=.$%!L!R+&)-.$/!%<.!,$'.-$'!+#<&'6!T)!%$'+!*&3!)$!Om!%$4*$#>'$!OPO[6!
Amour, il faut que tu ne cesses pas de croire ardemment à ce que nous faisons. Songe
que nous marchons dès avant l’aube, que nous marchons des jours entiers sans savoir
où nous allons, que nous attendons dans des cours de ferme des heures et des heures
sans savoir pourquoi, songe à toute la patience, à toute la religion qu’il nous faut
pour résister à ce chagrin d’avoir perdu ce que l’on aime. Songe que nous serons
bientôt couchés dans des tranchées dans l’eau et le froid et la boue, sous le feu. Il ne
faut rien nous dire, il ne faut rien penser qui nous enlève un peu de foi et nous coupe
les jambes. C’est de toi que j’attends toute ma force, toute ma vertu, toute mon
audace, tout mon mépris de la mort.
Les femmes participent à la guerre, mais ne la vivent évidemment pas de la même façon. La
mobilisation massive a privé de bras les campagnes et les usines. Les femmes s’attellent à la
tache avec courage. La fin des hostilités en rendra beaucoup à leur vie domestique, mais, malgré
cela, la condition des femmes ne sera plus jamais la même. Avec pudeur et discrétion, avec une
maladresse touchante parfois, les épouses taisent leurs souffrances, évitent de parler d’elles,
sinon pour rassurer leur mari soldat.
1) Georges mon amour, Nos enfants ne cessent de verser une larme chaque soir
en pensant à toi. Ils grandissent à une vitesse inimaginable. Ne t’en fais pas
pour nous, moi-même et les enfants, nous nous portons bien. Reviens-nous
vite, avec la fierté d’avoir combattu pour la liberté. Les enfants et moi-même
nous nous occupons de nos champs et de nos animaux. Reste courageux et
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déterminé ; Bats-toi mon amour, on croit en toi, signé tes chers enfants et ta
Joséphine, chère femme adorée.
2) Cher Laurent époux, Noël approche à grands pas et comme j’attendais ta
réponse de la mienne que j’avais envoyée donc je te fais colis avec cette lettre
des chaussettes que j’ai tricotées pour toi, avec la laine que j’ai achetée rue
Gambetta au magasin l’Incroyable, et puis du petit drapeau que je t’ai dit, que
c’est ma mère qui te l’envoie. T’inquiète pas pour nous. Ton petit ratout qu’a
onze mois a commencé à marcher ; Lisette a dit ses premiers mots ; Christian
veut venir à ton aide dans la tranchée. En attendant, il se débrouille du
poulailler. Reviens vite, signé ta Lucie qui te bisouille.
3) Mon bien aimé Lazare, pense à tes enfants et à moi ta femme qui comme toi
se bat. J’ai appris à me débrouiller, à faire des papiers, à gérer mon argent, à
élever seule nos enfants, mais je ne sais toujours pas comment vivre sans toi,
signé ta Marguerite bien aimée.
Un mot sur les marraines de guerre : cette institution a été créée pour apporter du soutien moral
aux soldats célibataires et seuls. Les marraines de guerre écrivent des lettres-types
d’encouragement, d’éloge du patriotisme, de la bravoure, du sacrifice. Elles envoient des colis de
nourriture, du tabac surtout, des vêtements. Les soldats peuvent même passer des petites
annonces pour choisir leur marraine.
Si vous le vouliez, vous m’écririez à moi, jolie marraine. Brune ou blonde,
qu’importe, mais dame du monde, distinguée, aimante ; Et moi, le lieutenant
Blanchard, je serais pour vous le plus affectueux et le plus discret des filleuls.
Ecrire : Lieutenant Blanchard, 74è infanterie par Bureau Central des Armées, Paris.
On comprend que la marraine de guerre devient vite un motif de scandale, le reflet du
délabrement des mœurs !… Le journal la Vie Parisienne les assimile carrément aux prostituées.
Elles sont dénigrées et décrites comme des vieilles filles qui profitent de la guerre pour se lancer
dans le jeu de la séduction…
Chant – Jean-Jacques - Florent PAGNY – Un soldat
11 – Erich Maria REMARQUE – À l’ouest rien de nouveau
Allemand, Erich Maria Remarque à peine âgé de 18 ans part pour le front. Il écrit À l’ouest rien
de nouveau en 1929, bouleversant témoignage de l’autre rive, interrogation pathétique sur
l’avenir de cette génération sacrifiée, côté français comme côté allemand.
Quand nous partons, nous ne sommes que de vulgaires soldats maussades ou de
bonne humeur, et quand nous arrivons dans la zone où commence le front, nous
sommes devenus des hommes-bêtes. La guerre a fait de nous des propres à rien.
Nous ne faisons plus partie de la jeunesse. Nous ne voulons plus prendre d’assaut
l’univers. Nous sommes des fuyards ; nous avions 18 ans et nous commencions à
aimer le monde et l’existence ; voilà qu’il nous a fallu faire feu là-dessus. Le premier
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obus qui est tombé nous a frappés au cœur. Nous n’avons plus aucun goût pour
l’effort, l’activité et le progrès. Nous n’y croyons plus, nous ne croyons qu’à la
guerre… Les mois et les années peuvent venir. Ils ne me prendront plus rien. Ils ne
peuvent plus rien me prendre ; je suis si seul et si dénué d’espérance que je peux les
accueillir sans crainte.
Le livre jugé comme subversif par les nazis sera brûlé publiquement. Eric Maria Remarque, lui,
aura le temps de s’enfuir aux Etats-Unis… Le narrateur, jeune soldat allemand, vient de
poignarder un soldat français, réfugié dans le même trou que lui. Il tente de le soigner, reste
auprès de lui plusieurs heures, jusqu’à sa mort.
Le silence se prolonge ; je parle, il faut que je parle ; c’est pourquoi je m’adresse à
lui, en lui disant « Camarade, je ne voulais pas te tuer. Si, encore une fois, tu sautais
dans ce trou, je ne le ferais plus, à condition que toi aussi tu sois raisonnable ; mais
d’abord tu n’as été pour moi qu’une idée, une combinaison née de mon cerveau et
qui a suscité une résolution : c’est cette combinaison que j’ai poignardée. À présent,
je m’aperçois que tu es un homme comme moi. J’ai pensé à tes grenades, à ta
baïonnette et à tes armes, maintenant, c’est ta femme que je vois, ainsi que ton visage
et ce qu’il y a en nous de commun. Pardonne-moi, camarade. Nous voyons les choses
toujours trop tard ; pourquoi ne nous dit-on pas sans cesse que vous êtes, vous aussi,
de pauvres chiens comme nous, que vos mères se tourmentent comme les nôtres et
que nous avons tous la même peur de la mort, la même façon de mourir et les mêmes
souffrances ? Pardonne-moi, camarade ; comment as-tu pu être mon ennemi ? Si
nous jetons ces armes et cet uniforme, tu pourrais être mon frère… Prends vingt ans
de ma vie, camarade et lève-toi… Prends-en davantage, car je ne sais pas ce que,
désormais, j’en ferai encore.
J’écrirai à ta femme. Je veux lui écrire, c’est moi qui lui apprendrai la nouvelle ; je
veux tout lui dire, de ce que je te dis… Ton uniforme est encore entrouvert. Il est
facile de trouver le portefeuille ; mais j’hésite à l’ouvrir. Il y a là ton livret militaire
avec ton nom. Tant que j’ignore ton nom, je pourrai peut-être encore t’oublier. Le
temps effacera cette image ; mais ton nom est un clou qui s’enfoncera en moi et que
je ne pourrai plus arracher. Cette scène pourra toujours se reproduire et se présenter
devant moi… Sans savoir que faire, je tiens dans ma main le portefeuille. Il
m’échappe et s’ouvre. Il en tombe des portraits et des lettres. Ce sont les portraits
d’une femme et d’une petite fille, de menues photographies d’amateur prises devant
un mur de lierre. À côté d’elles, il y a des lettres ; je les sors et j’essaie de les lire ; je
ne comprends pas la plupart des choses, c’est difficile à déchiffrer et je ne connais
qu’un peu de français. Mais chaque mot que je traduis me pénètre, comme un coup
de feu dans la poitrine, comme un coup de poignard au cœur.
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Chant – la Madelon (Elisabeth, Gildas harmonica + JJacques )
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12 – Ernst JÜNGER – La guerre comme expérience intérieure!
Ernst JÜNGER, écrivain, auteur d’Orages d’acier, s’engage à 19 ans dans un régiment d’élite
d’infanterie allemande. Il consigne dans ses carnets le quotidien dans les tranchées. !
Que l’on tue des hommes, cela n’est rien, il faut bien qu’ils meurent un jour, mais on
n’a pas le droit de les nier. Non, on n’en a pas le droit. Le plus terrible, pour nous, ce
n’est pas qu’ils veuillent nous tuer, c’est qu’ils ne cessent pas de déverser sur nous
des flots de haine, qu’ils ne sachent nous nommer autrement que Boches, Huns,
barbares. Cela rend amer ; C’est pourtant vrai, tout peuple a son sale type, et c’est
justement celui-là que les voisins aiment à prendre pour norme. Nous ne sommes pas
meilleurs que les autres, tout Anglais nous est un Shylock, tout Français un marquis
de Sade. On en rira peut-être dans cent ans, à moins qu’on ne soit encore en guerre,
pour changer.
13 – La guerre du côté des autorités
« La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur
obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les
instants. Que les ordres soient exécutés strictement sans hésitation ni murmure.
L’autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n’est permise à
l’inférieur que lorsqu’il a obéi.
Si l’intérêt du serveur demande que la discipline soit ferme, il veut en même temps
qu’elle soit paternelle. La subordination doit avoir lieu rigoureusement de grade à
grade. L’exacte observation des règles qui la garantissent, en écartant l’arbitraire, doit
maintenir chacun dans ses droits comme dans ses devoirs. »
Le jour de l’an des Poilus.
Certes nos poilus ne seront pas oubliés pour ce premier janvier. Ainsi chaque poilu recevra-t-il
100 grammes de jambon, 70 grammes de confiture, une orange, deux pommes, un cigare à 0,10
F et un quart de bouteille de vin mousseux.
Pour les troupes indigènes quelques variantes ont été apportées aux envois : le cigare sera
remplacé par deux paquets de cigarettes algériennes à 0,06 F et le vin mousseux par 48 grammes
de café et 64 grammes de sucre. Au lieu de jambon, les soldats indigènes recevront une indemnité
de 0,35 F avec quoi ils s’achèteront leur mets préféré.
Songe-t-on à ce que cet heureux geste de l’Intendance représente comme stock de victuailles ?
Un exemple : il sera envoyé sur le front environ 800 000 bouteilles de vins de toutes provenances,
Champagne, Anjou, Touraine… tous les crus sur le front !!!
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14 – Ernest HEMINGWAY, l’Adieu aux armes
La guerre côté français et allemand, côté américain aussi. Frédéric, le héros de l’adieu aux
armes, alors que les carabiniers italiens s’apprêtent à l’exécuter, parvient à s’enfuir en plongeant
dans l’eau, et prend la fuite pour rejoindre la femme qu’il aime. Plus jamais il ne retournera à la
guerre. Dans ce court extrait, Hemingway montre le côté implacable de la guerre : la sanction
s’applique pour tous, coupables et innocents… La vérité n’a aucune importance, seule prime la
raison d’état.
Leurs officiers dévisageaient chaque homme de la colonne. Parfois ils parlaient entre
eux et s’avançaient pour projeter sur un visage la lumière de leur lampe. Ils firent
sortirent quelqu’un juste au moment où nous passions. Je vis l’homme. C’était un
lieutenant-colonel, J’aperçus les étoiles sur sa manche quand ils l’éclairèrent. Il avait
les cheveux gris. Il était petit et gros. Le carabinier le poussa en avant. L’un de leurs
officiers me désigna du doigt et parla au carabinier. Je le vis s’avancer vers moi. Il se
fraya un passage au milieu des fuyards, et je me sentis pris au collet.
Frédéric - Qu’est-ce que vous me voulez ? Vous ne savez donc pas que vous n’avez
pas le droit de toucher à un officier ?
Le carabinier ne répondit pas ; Il guettait le moment de me saisir. Je mis mon bras
derrière mon dos pour détacher mon révolver.
Un des officiers - Police des armées ! Tue-le s’il résiste ! Tue-le je te dis, et mets-le
là, derrière !
Ils me conduisirent vers un groupe qui attendait dans un champ, près du fleuve. Ils
exécutaient tous les officiers supérieurs qui avaient été séparés de leurs troupes ; Ils
s’occupaient aussi, sommairement, des agitateurs allemands qui portaient des
casques d’acier. Les carabiniers portaient le grand chapeau. Nous attendions sous la
pluie et, les uns et les autres, nous étions interrogés et fusillés ; jusqu’alors ils avaient
exécuté tous ceux qu’ils avaient interrogés. Les juges avaient ce beau détachement,
cette dévotion à la stricte justice des hommes qui dispensent la mort sans y être eux-
mêmes exposés. Ils étaient en train de questionner un colonel d’infanterie de ligne.
Où était son régiment ? Je regardai les carabiniers. Ils regardaient le colonel. Je me
courbai, bousculai deux homme et, tête baissée, je m’élançai vers le fleuve.
15 – Maurice GENEVOIX – Ceux de 14
Né en 1890, Genevoix sert comme officier d’infanterie d’août 1914 à avril 15 où il est grièvement
blessé aux Éparges. Il consigne son expérience du front dans un recueil de récits, Ceux de 14,
ouvrage mis souvent en parallèle avec Orages d’Acier d’Ernst Jünger.
Il fait lourd, une chaleur énervante et malsaine… je fume, je fume, pour vaincre
l’odeur épouvantable, l’odeur des pauvres morts perdus par les champs. Je suis assis
au fond de la tranchée, les mains croisées sur mes genoux pliés. Et j’entends devant
moi, derrière moi, par toute la plaine, le choc clair des pioches contre les cailloux, le
froissement des pelles qui lancent la terre et des murmures de voix étouffées. La nuit
nous enveloppe, ils ne nous voient pas : nous pouvons enterrer nos morts.
Un soldat - Mon lieutenant, vous êtes là ?
Le lieutenant - Par ici !
Le soldat – Voilà, mon lieutenant !
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14-18
Je frotte une allumette et, dans le court instant qu’elle brûle, j’entrevois un
portefeuille usé, un porte-monnaie de cuir, une plaque d’identité attachée à un cordon
noir. Une autre allumette : il y a dans le portefeuille la photographie d’une femme qui
tient un bébé sur ses genoux, j’ai pu lire le nom gravé en lettres frustes sur la
médaille de zinc.
Le soldat – C’est tout ce qu’on a trouvé : ça c’est au même mais sur l’autre, j’ai rien
trouvé, que le porte-monnaie.
Encore une allumette : il y a quelques pièces d’argent, quelques sous dans ce porte-
monnaie et puis un bout de papier sale et froissé. Un reste de lueur. Je lis : Gonin
Charles, employé de chemin de fer. Classe 1904. Soissons. L’allumette s’éteint. Je
serre la main du sergent, elle est moite, fiévreuse et ses doigts tremblent.
Le lieutenant - Bonsoir, allez dormir, allez !
Il est parti, je reste éveillé au milieu des hommes qui dorment. Dormir comme eux…
Ne plus penser, m’engourdir ! Dans ma main, le petit paquet de reliques pèse, pèse…
Gonin Charles, employé de chemin de fer... Les visages qui souriaient sur la
photographie s’immobilisent sous mes paupières fermées, grandissent, s’animent
jusqu’à m’halluciner… Les pauvres gens !
Piano – SIBELIUS étude
16 - Louis-Ferdinand CELINE : Le voyage au bout de la nuit
Louis Destouches, dit Céline, maréchal des logis dans le 12è régiment de cuirassiers,
a 20 ans lors de la déclaration de guerre. En deux mois, il parcourt 1483 km à cheval,
avant, lors d’une mission risquée et pour laquelle il se porte volontaire, d’être
gravement blessé au bras. Opéré, réformé, il reprend des études après l’armistice,
passe le bac et devient médecin. Ferdinand Bardamu est son héros porte-paroles dans
les deux romans les plus connus, le Voyage et Mort à crédit.
Ils nous firent monter à cheval et puis au bout de deux mois qu’on était là-dessus,
remis à pied. Peut-être à cause que ça coûtait trop cher... Enfin un matin, le colonel
cherchait sa monture, son ordonnance était parti avec, on ne savait où dans un petit
endroit sans doute où les balles passaient moins facilement qu’au milieu de la route.
Car c’est là précisément qu’on avait fini par se mettre, le colonel et moi, au beau
milieu de la route. Tout au loin sur la chaussée, il y avait deux points noirs, au milieu,
comme nous, mais c’était deux Allemands bien occupés à tirer depuis un bon quart
d’heure. Lui, notre colonel, savait peut-être pourquoi ces deux gens-là tiraient, les
Allemands aussi peut-être qu’ils savaient, mais moi, vraiment, je savais pas. Aussi
loin que je cherchais dans ma mémoire, je ne leur avais rien fait aux Allemands.
J’avais toujours été bien aimable et bien poli avec eux. Je les connaissais un peu les
Allemands, j’avais même été à l’école chez eux, étant petit. J’avais parlé leur langue.
C’était alors une masse de petits crétins gueulards avec des yeux pâles et furtifs
comme ceux des loups. On allait toucher ensemble les filles après l’école dans les
bois d’alentour, où on tirait aussi à l’arbalète et au pistolet qu’on achetait même
quatre marks. On buvait de la bière sucrée. Mais de là à nous tirer maintenant dans le
coffret, sans même venir nous parler d’abord et en plein milieu de la route, il y avait
de la marge et même un abîme. Trop de différence.
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14-18
La guerre, en somme, c’était tout ce qu’on ne comprenait pas ; ça ne pouvait pas
continuer. Il s’était donc passé dans ces gens-là quelque chose d’extraordinaire ?
Que je ne ressentais, moi, pas du tout. J’avais pas dû m’en apercevoir… Mes
sentiments n’avaient pas changé à leur égard. J’avais comme envie malgré tout
d’essayer de comprendre leur brutalité, mais plus encore j’avais envie de m’en aller,
énormément, absolument, tellement tout cela m’apparaissait soudain comme l’effet
d’une formidable erreur. Dans une histoire pareille, il n’y a rien à faire, il n’y a qu’à
foutre le camp. Jamais je ne m’étais senti aussi inutile parmi toutes ces balles et les
lumières de ce soleil. Une immense, universelle moquerie. Serais-je donc le seul
lâche sur la terre ? Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et
armés jusqu’aux cheveux ? Plus enragés que leurs chiens, adorant leur rage (ce que
les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus
vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je m’étais embarqué dans une croisade
apocalyptique. On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Qui aurait
pu prévoir avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme
héroïque et fainéante des hommes ? À présent, j’étais pris dans cette fuite en masse,
vers le meurtre en commun, vers le feu… ça venait des profondeurs et c’était arrivé.
17 – Raymond RADIGUET – Le Diable au corps
Radiguet nait en 1903 et meurt à 20 ans. Le diable au corps est l’histoire quelque peu iconoclaste
d’une relation amoureuse durant la guerre, entre un jeune garçon, le narrateur, et Marthe,
fiancée à Jacques, soldat sur le front…
À force de guetter des bruits qui pouvaient annoncer quelque chose, mes oreilles, un
jour, entendirent des cloches. C’étaient celles de l’armistice. Pour moi, l’armistice
signifiait le retour de Jacques. Déjà, je le voyais au chevet de Marthe, sans qu’il me
fût possible d’agir ; J’étais éperdu.
!
Mon père revint à Paris. Il voulait que j’y retournasse avec lui.
- On ne manque pas une fête pareille !
Je n’osais refuser. Je craignais de paraître un monstre. Puis, somme toute, dans ma
frénésie de malheur, il ne me déplaisait pas d’aller voir la joie des autres.
Avouerai-je qu’elle ne m’inspirât pas grande envie. Je me sentais seul capable
d’éprouver les sentiments qu’on prête à la foule. Je cherchais lek patriotisme ; Mon
injustice, peut-être, ne me montrait que l’allégresse d’un congé inattendu : les cafés
ouverts plus tard, le droit pour les militaires d’embrasser les midinettes ; Ce
spectacle, dont j’avais pensé qu’il m’affligerait, qu’il me rendrait jaloux, ou même
qu’il me distrairait par la contagion d’un sentiment sublime, m’ennuya comme une
Sainte-Catherine.
Piano – CHOPIN - Nocturne
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18 - Pierre LOTI – Soldats bleus!
Capitaine de vaisseau, Pierre LOTI a 64 ans quand la guerre éclate. Il veut reprendre du service,
mais la marine lui refuse toute possibilité. Il s’engage alors dans l’armée de terre avec le grade
de colonel. Étant donné sa parfaite connaissances de l’arabe et de l’islam, il effectue plusieurs
missions auprès de la Turquie pour la désengager, en vain, des empires centraux qu’elle a
rejoints. Soldats bleus est son journal de guerre.
Ce titre, Soldats bleus, pour les pages inédites de mon journal intime tenu entre 1914
et 1918, n’est pas de moi, mais il a la couleur des uniformes apparus en 1915, la
couleur des hortensias, celle de la célèbre frontière vosgienne, celle de mon éternelle
nostalgie. C’est malheureusement aussi le bleu dont on meurt. J’étais à la retraite
comme capitaine de vaisseau, depuis 1910 quand le conflit commença. J’ai
immédiatement voulu mettre mon épée et ma plume au service de la France ; ce ne
fut pas facile : on n’avait pas besoin dans les tranchées d’un marin, fût-il
académicien, dira Pétain ! Mon journal, c’est tout cela : les tranchées, les blessés, les
cimetières, les anonymes soldats bleus autant que les puissants de l’Élysée ou du
Grand Quartier général, les femmes aussi, courageuses, et le bilan d’une vie pleine
d’amour et de voyages. C’est l’arrière aussi : Paris d’où j’ai négocié en secret mais
sans succès avec les Turcs pour les ramener dans notre camp… Au moment où
j’arrêtai définitivement mon journal dans l’été 1918, un journaliste écrivit : un jour
les peuples ivres, les troupeaux glorieux, auront fini leur sabbat. L’Europe ne sera
plus, sous le ciel qu’une blessure immensément humaine. Pour s’être penché sur le
plus épouvantable sacrifice que les hommes aient jamais consenti à des hommes,
pour avoir vu et respiré la plus énorme guerre qui ait pourvu à réduire et à fausser
leurs destinées, Pierre Loti sera triste, beaucoup plus triste, et comme royalement
triste…
JBernard (guitare) : le petit soldat (composée par lui-même)
19 – Henry de Montherlant – Entretiens et Poème à un aspirant tué, extrait du
chant funèbre pour les morts de Verdun
en 1895, Henry de Montherlant est issu d’une famille la fibre patriotique, au début des
hostilités, ne semble pas vraiment décisive.
« La France, c’était le petit père Combes, la franc-maçonnerie, les inventaires ; et au
début, ma foi, je crois que si la France avait été battue, on se serait dit : elle l’a bien
mérité avec toutes les saloperies qu’elle a faites ! Le véritable patriotisme, dans ma
famille et chez moi, ne commença qu’au moment de Verdun, et à ce moment-là
devint très fort. »
D’abord ajourné pour hypertrophie cardiaque, il est finalement incorporé en 1916, mais dans
l’auxiliaire, c’est-à-dire à l’arrière. Entretemps, le patriotisme s’est imposé à lui et à son
entourage.
« Ma grand-mère m’aimait comme aiment les vieilles dames qui sentent qu’elles
vont mourir et qui n’ont qu’un être à caresser, à câliner et sur qui répandre leur
besoin de tendresse et de cajolerie ; je peux dire que ma grand-mère m’adorait ; Or,
elle fit des pieds et des mains pour que, de cet état-major de l’arrière qui était à
soixante kilomètres du front, je fusse envoyé sur le front, ce qui était non seulement
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risquer ma propre vie à moi, mais sa vie à elle, car si j’avais été tué, elle serait
sûrement morte. C’est un trait que je trouve vraiment sublime »
Henry de Montherlant arrive finalement simple soldat sur le front à l’âge de 23 ans. En juin
1918, il est blessé sérieusement et deviendra après la guerre, secrétaire général de l’ossuaire de
Douaumont.
J’ai lavé ton front, tête vide,
Défait les cuirs sur tes reins étroits,
Défait le col sur ton sein aride.
Pauvre corps, qu’a-t-on fait de toi !
Tu priais que passât ce calice.
Je tairai tes yeux tournoyants.
Frère du choix plus fort que le sang,
Qu’avais-tu fait pour qu’on te punisse ?
20 – Jean GIONO – Le Grand Troupeau
en 1895, versé dans l’infanterie, Giono participe aux plus terribles batailles, les Éparges,
Verdun, la Somme, le chemin des Dames. Dans le Grand Troupeau il dénonce fortement la
guerre, en accord avec ce pacifisme profond qu’il exprimera plus tard dans le texte Refus
d’obéissance. Le titre du roman joue sur la métaphore du bétail humain qu’est devenue la masse
de soldats broyés dans la guerre. Les scènes alternent en miroir tantôt au front dans la violence
des combats, tantôt dans le village où les femmes et les vieux assurent les travaux agricoles.
Début août 14, d’immenses troupeaux en transhumance, mais privés de leurs bergers devenus
soldats, redescendent torrentiellement vers les villages privés d’hommes jeunes.
Dans le village, le lendemain de la mobilisation
La nuit d’avant, on avait vu le grand départ de tous les hommes. C’était une épaisse
nuit d’août qui sentait le blé et la sueur de cheval. Les attelages étaient là dans la
cour de la gare. Les gros traîneurs de charrues, on les avait attachés dans le brancard
des charrettes et ils retenaient à plein reins des chargements de femmes et d’enfants.
Le train doucement s’en alla dans la nuit : il cracha de la braise dans les saules, il prit
sa vitesse. Alors les chevaux se mirent à gémir tous ensemble.
La boulangère - Rose ! Père Jean ! Vous ne sentez pas ?
Père Jean - Quoi ?
La boulangère - Sentez ! Vous avec le nez bouché ou quoi ?! Dès que j’ai ouvert le
fenestron, cette odeur m’a sauté à la figure comme un chat. J’en ai chaud sur les
joues, que j’en suis encore toute rouge.
Rose - Maintenant, je sens !
Père Jean- Moi aussi !
C’était une odeur de laine, de sueur et de terre écrasée, ça remplissait le ciel.
Père Jean - - Qu’est-ce que c’est ça ?
Rose – Je me le demande !
Et alors, ils entendirent le bruit. Cela faisait comme une belle eau qui coule, une eau
épaisse lâchée hors de son lit et elle semblait sonner dans tous les ressauts de la terre
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et du ciel à gros bourdon de cloches ; Le jour de la rue devenait roux-muscat, roux
comme du jus de raisin et enfin arriva, déployé dans la fumée du ciel, un vol de
gémissements et de plaintes, comme le gémissement des chevaux la nuit d’avant.
Devant les moutons, l’homme était seul. Il était seul. Il était vieux. Il était las à mort.
Il était blanc de poussière de haut en bas comme une bête de la route. Tout blanc. De
ses poings lourds, il s’essuya les yeux et il eut comme ça, dans tout ce blanc, les deux
larges trous rouges de ses yeux malades de sueur. Il regarda tout le monde de son
regard volontaire, et il passa en traînant ses pieds, poussant tous ses pas en avant sur
le malheur de la route.
Le Père Jean - C’est cette guerre qui les fait descendre !
Autour de lui, on ferma la bouche Tous comprirent. Les cœurs se mirent à taper des
coups sourds un peu plus vite. On pensait à cette nuit d’avant qui sentait trop le blé ;
Oui, trop le blé. Et quelle vague de dégoût à sentir cette odeur de blé, à voir les petits
enfants dans les bras des femmes, toujours bien pleines de plaisir, sur leurs deux
jambes, à comprendre tout ça, en même temps que les beaux hommes partaient dans
le gémissement des chevaux.
Rose – Sainte Vierge !
Père Jean – Oui, cette guerre qui prend tout… Elle mangera vos béliers, vos brebis,
vos moissons…
Sur le front
Tandis que la vie s’organise dans les villages, tandis que les femmes, les vieux et les
enfants, tant bien que mal, font « marcher la terre », les hommes de Provence
souffrent et meurent sur le front, dans des paysages étrangers.
D’innombrables animaux sont mêlés à cette horreur. Durant la première guerre
mondiale 15 millions d’animaux sont réquisitionnés, chevaux, mulets, bœufs, ânes,
chiens et pigeons. Les chevaux sont les plus touchés, 9 à 10 millions meurent, dont 1
million côté français à Verdun seulement. Sur les 100 000 pigeons-voyageurs utilisés
pour la transmission des messages durant le conflit, 20 000 côté français périssent.
Quand l’aube n’était pas encore bien débarrassée, les corbeaux arrivaient à larges
coups d’ailes tranquilles ; Ils cherchaient le long des pistes et des chemins, les gros
chevaux renversés. À côté de ces chevaux, aux ventres éclatés comme des fleurs de
câprier, des voitures et des canons culbutés mêlaient la ferraille et le pain, la viande
de ravitaillement encore entortillée dans son pansement de gaze et les baguettes
jaunes de la poudre à canon.
Ils s’en allaient aussi sur leurs ailes noires jusqu’au carrefour des petits boyaux, à
l’endroit où il fallait sortir pour traverser la route. Là, toutes les corvées de la nuit
laissaient des hommes. Ils étaient étendus, le seau de la soupe renversé dans leurs
jambes, dans un mortier de sang et de vin.
Et les mères corbeaux claquaient du bec avec inquiétude dans les nids de draps verts
et bleus, et les rats dressaient les oreilles dans leurs trous achaudis de cheveux et de
barbes d’hommes…
Et partout dans le pré, dessous l’herbe, comme de l’eau d’arrosage, et si épais qu’on
en voit les sillons, des rats ! Des flots de rats ! Les rats de tous ces murs en flammes,
de tous ces greniers éventrés, les rats des villages écroulés, les rats de la bataille et
des morts, renversés en large eau noire par le chavirement de la terre.
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14-18
Là-bas, ils sortent du pré, dépassent le talus et tremblent, luisants comme de la poix,
dans tous les creux des labours. Une voiture folle, sans conducteur, saute au milieu
des terres, tirée, bride abattue, par le plein galop de deux chevaux blancs. Elle se
penche, elle rase l’herbe des ridelles, elle se couche de bâbord, elle se renverse enfin
dans l’éclatement d’une fumée de terre et d’eau. Sa roue en l’air tourne encore à
toute vitesse, les deux chevaux, couchés dans les brancards, continuent à galoper sur
le ciel, à écraser du ciel à pleins sabots.
JBernard (avec guitare) : BRASSENS – la guerre de 14-18
21 – Blaise CENDRARS – Le jour de la Victoire!
Le jour de la Victoire quand les soldats reviendront…
Tout le monde voudra LES voir
Le soleil ouvrira de bonne heure comme un marchand de nougat un jour de fête
Il fera printemps au Bois de Boulogne ou du côté de Meudon
Toutes les automobiles seront parfumées et les pauvres chevaux mangeront des fleurs
Aux fenêtres les petites orphelines de la guerre auront toutes une belle robe
patriotique
Sur les marronniers des boulevards les photographes à califourchon braqueront leur
œil à déclic
On fera cercle autour de l’opérateur du cinéma qui mieux qu’un mangeur de serpents
engloutira le cortège historique
Dans l’après-midi
Les blessés accrocheront leurs Médailles à l’Arc de Triomphe et rentreront à la
maison sans boiter
Puis
Le soir
La place de l’Étoile montera au ciel
Le Dôme des Invalides chantera sur Paris comme une immense cloche d’or
Et les mille voix des journaux acclameront la Marseillaise
Femme de France
Chant : Gildas, Douce paix, R. HAHN!
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14-18
Chant : Gildas, Douce paix, R. HAHN!
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14-18
Chant : Canon de la paix
!
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14-18
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