Elle se leva d’un bond, attrapa son manteau et sortit en trombe. «!Du crottin, un
cheval, ça crotte... comme un petit Poucet!!!»
La voilà sur la place, les idées fumantes. Un crottin! un crottin qui fume ? Non, il est
froid depuis trois jours. Un crottin abandonné ? Non plus, la place a toujours été
propre, même les chiens et les chats n'osent s'y risquer.
... Bon, sur la place, peu probable, mais quand même. Je te fouille des yeux de
partout, mine de rien, près de la fontaine, à coté des platanes... Comptons qu'un
cheval, ça mange ses cinquante kilos dans la journée, ça en laisse combien des perles
par derrière ? Il y en aura d'autant plus que le stationnement aura été long. Pas de
chance, parce que là, il n'a pas stationné.
- Bon, une perle toutes les quatre minutes, à cinq kilomètres à l'heure, je vais en
trouver une tous les kilomètres, en moyenne. Non, je me trompe… Voyons, en une
minute, ça fera 5 km divisé par soixante, oh là là, c'est compliqué !… Va pour deux
perles tous les kilomètres.
Lucile regardait, regardait encore, passait le coin où elle avait vu disparaître son cul
de cheval, avançait en ratissant chaussée et trottoirs.
- Et ces voitures en stationnement, je ne vais tout de même pas aller voir par-dessous.
Au premier carrefour, elle se trouva bête. A droite, à gauche, va savoir, coté cour,
coté jardin ? Un cheval, ça peut habiter partout et nulle part.
Elle opta pour le faubourg, les maisons qui ne s'accolent plus, les premiers chemins en
terre qui partent de chaque coté.
- A mon avis, pensa t'elle, quand le cheval quitte le macadam pour un chemin empierré,
ça doit le rendre heureux, il sent l'écurie. Alors, forcément, ça doit lui donner envie.
De ses vagues souvenirs d'enfance, un chemin commençait toujours par un bout de
crottin. Son frère disait "une sentinelle". Halte-là, mot de passe, ici commence la
campagne, celui qui n'est pas d'ici entre en terrain ennemi: "Passant, que la terre colle
à ta semelle, que l'herbe mouille l'ourlet de ton pantalon, que nos chiens t'agacent,
que le frelon t'inquiète. Ici, on se lève tôt et ça pue parfois!"
Lucile était fille de la ville. Alors, à chaque chemin creux, elle n'osa. Avec ou sans
sentinelle.
Deux heures plus tard, elle avait quadrillé un grand quartier de la ville... sans une
perle sentinelle. Au moins, elle avait pris l'air et s'était calmée. Elle s'était perdue aussi,
un quartier qu'elle ne soupçonnait pas. Vieux, avec des maisons attenantes qu'on
aurait pu prendre pour des fermes si elles n'avaient pas été collées les unes aux
autres, beaucoup de porches, d'entrées de granges, le crépi rustique, un étage, deux
étages, pas plus, directement sur la rue, sans trottoir, et puis personne, ni sentinelle,