1.     Histoire de vélo


 

Manach hérita de son oncle un Di Blasi électrique démontable. Séduit par l’engin, il l’adopta pour tous ses trajets en ville. A la première pluie, il avait fouiné en vain dans plusieurs magasins, à la recherche d’un imperméable fonctionnel et élégant. Il trouva une sorte de parka, qu’il abandonna très vite, tant elle était raide. C’est au hasard d’un voyage en Hollande qu’il dénicha dans un magasion de sport une sorte de gabardine longue dans un tissu cybernétique, comme il disait, où la transpiration sort sans que la pluie ne rentre. Transparent, ample en bas, souple au dessus de ses habits classiques, le vêtement lui laissait une bonne liberté de mouvement pour pédaler. Avec la casquette et les mouffles assorties, il n’avait pas trop l’air d’un zombie. Les gens ne se retournaient pas sur son passage. Le petit moteur électrique de 200 watts, entraînant la roue avant un peu comme un Solex, suffisait amplement à lui épargner un effort violent dans la côte des Thermes ou lorsque le vent d’ouest prenait en enfilade le boulevard Bahamontès. Il trouvait génial de faire les quatre kilomètres qui séparaient son appartement de la maison de ses parents en moins d’un quart d’heure, sans avoir eu l’impression de vraiment pédaler. La batterie, amovible, ne pesait que deux kilogs et demie et sur un aller et retour, elle ne se déchargeait qu’à moitié. Il la rechargeait chez lui en rentrant.

 

Quelques mois auparavant, il avait pensé à un vélomoteur. Mais le bruit, le casque, la saleté, les problèmes mécaniques, la lourdeur... Il était resté fidèle au tramway. Bien sûr, c’est un peu rigide le tramway, mais, allez savoir pourquoi, ça reste plus sympa que l’autobus qui fait un peu éléphant chez les flamants roses. Le tramway, c’est là, là sur ses rails et pas ailleurs, même la sacro-sainte bagnole le comprend. Le tramway est là comme un arbre est au bord du chemin, comme l’eau est dans le lac. L’autobus est là comme un gros qui pue et qui bouge comme un rhumatisant. Quand on imagine un autobus à l’arrêt, on voit le vieux monsieur ou la jeune maman avec son gamin qui peinent pour monter les deux grandes marches. L'autobus, c'est pour eux et pour quelques jeunes scolaires, on dirait qu'il n'est pas pour les autres.

 

Manach aimait bien ses tramways, ça donnait l’impression d’aller vite, de ne pas s’arrêter une éternité à chaque halte, d’accélérer et de freiner en ligne droite et non pas dans des manoeuvres qu'il avait baptisées rigolotes, vu qu'elles se passaient au travers des rigoles et des caniveaux, mais qui n'étaient pas si rigolotes que ça pour les passagers et le chauffeur. Ca n’a l’air de rien, mais c’est peut-être ça qui fait la différence. C’est vrai aussi, que le tramway est toujours plein comme il faut, jamais bondé, jamais désert, souvent une tête connue, une jolie fille, un grand beur sympa, la petite vieille qui connaissait l’oncle. Le tramway, c’est un quartier qui bouge, c’est un morceau de ville, qui va et vient.

 

Le vélo, c’est pas mal, mais on a toujours besoin d’un peu de courage. Dans la côte, on mettrait bien pied à terre...un peu ridicule, non! Encore que, moi j’en vois, de ces petites gens, qui s’arrêtent et continuent à pas lents en poussant leur engin jusqu’en haut de la côte. Moteur électrique, madame Calgon! Vous verrez, le chemin de la colline vous paraîtra tout plat et la bise mauvaise deviendra brise. Et puis dans la descente, on peut aussi aller vite, mais pourquoi pas descendre doucement, sans user les freins, simplement en rechargeant un peu la batterie.

 

Alors un vélo électrique, génial. Un petit bol d’air vivifiant, silencieux et sans sueur. Surtout que c’est bien foutu: ça vous aide jusqu’à 25 km/h, pas plus, règlementation oblige, faut que ça reste un vélo. 25 km/h c’est bien, n’allez pas croire. Vous, oui vous qui êtes dans votre voiture, essayez donc de faire plus de 20 kilomètres en une heure avec un vélo de course. Essayez donc aussi de faire avec votre voiture 25 km en une heure en ville. Désolé, le vélo électrique arrivera avant vous. En plus, il faudra vous garer, payer encore, marcher à pied. Allez, ne mentez pas, je lis dans vos pensées, vous le méprisez ce vélo électrique. Il vous énerve. Il n’est pas à la mode. Alors....

 

Manach, qui parlait avec fougue de sa trouvaille, avait essuyé nombre de ricanements et de quolibets. Face à cette adversité, il s'était fait provoquant et avait baptisé son vélo électrique le vélo-citoyen. Il avait même envoyé une lettre circulaire aux journaux et aux ministres, en jargonnant à dessein, comme marque d’un secret mépris pour les hommes de pouvoir à qui il s’adressait sans illusion. Dans son plaidoyer, il parlait du vélo-citoyen comme “d’une médiation à la convergence des technologies nouvelles économes d’énergie et de l’obligation politique de repenser le transport et la ville comme des creusets d’une convivialité aujourd’hui bien mise à mal par l’impérialisme automobile”.  Ca l'avait soulagé, mais il pressentait bien que le vélo et le vélo électrique ne gagneront leur bataille qu’à la force des jarrets du peuple.

 

Depuis, Manach s’était mis à réfléchir sur l’urbanisme avec un oeil neuf, l’oeil d’un cycliste indigné.

“Ah! Municipalités avides d’automobiles, vous avez voulu en bouffer de la bagnole, avec vos couteux parkings de centre ville, vos rues élargies et vos trottoir étroits, vos deux fois deux voies à grand débit.  Vous en avez l’indigestion. "

La première chose à faire, c’est de mettre tous les élus sur des vélos, des vélos électriques bien sûr. Qu’ils comprennent bien ce que doit être une ville agréable aux cyclistes. Ce jour-là, nul doute que beaucoup de services techniques municipaux auront une cascade de réprimandes sur le dos. Ces plaques d’égouts qui dépassent, ces trous et ces mauvaises jointures laissés par un mauvais rebouchage de tranchée, des places de stationnement qui bloquent un itinéraire cyclable, des détours de cent mètres et plus, pour satisfaire l’exigence incroyable d’un riverain - un ami du maire précédent dites-vous-  L’élu, rendu plus attentif à la circulation dont il est comptable, éveillera ses soupçons en découvrant le nombre effarant de bagnoles capables de tourner pendant une demie-heure dans un même quartier pour trouver enfin un stationnement au plus près de leur bistrot favori.

 

L’élu à vélo - électrique - aurait sans doute un autre oeil pour constater l’indigence des commerces de proximité et le mal fait par les hypermarchés dont il avait signé les permis de construire. En commercant d’un coté, en faisant du sport de l’autre , en administrant ailleurs, en logeant là-bas, en travaillant loin, la ville est devenue productiviste à défaut d’être conviviale. Il ne nous reste plus que la télévision pour pleurer, la télévision pour faire du vélo par procuration à l’époque du tour de France, la télévision pour regarder le cinéma du pauvre. Allez, monsieur l’Elu, quittez votre limousine avec chauffeur et visitez vos quartiers sur deux-roues, payez des vélos de fonction à vos employés municipaux, remettez les hirondelles sur une bicyclette électrique plutôt que sur un scooter où dans dans une folle voiture clignothurlante. Votre police sera plus proche et vos électeurs mieux policés.

 

Le vélo électrique avait entraîné Manach vers des horizons nouveaux. Il avait d’abord proposé à la SNCF une activité touristique particulière “Train+vélo électrique”. Tu prends le train. Tu descends à Trifouillis-les-touristes où tu as réservé un vélo électrique. Tu t’en vas de colline en colline ou de chateau en chateau. Sur la route, tu peux changer ta batterie déchargée contre une batterie pleine chez des pompistes, des hotels, des restaurants, des chambres d’hôtes, des gens du dimanche quoi. Et roulez petits touristes, en chantant Montand, à bicyclette.

La SNCF n’avait pas répondu...

Ertia