Le tramway adoucit les moeurs... des automobilistes
Observez la
ville! Regardez cet automobiliste lutter d'égal à égal avec un Bus, regardez ce
piéton, quelle est sa force devant le flot rugissant, regardez ce vélo grisé de
la vitesse des autres, ou le nez dans leur pot d'échappement!
Observez la
ville! Regardez la force tranquille du tramway! Qui oserait arrêter son chemin,
qui oserait stationner sans lui laisser son dû, qui oserait le doubler sans
l'assurance d'une retraite sûre à tout instant?
Curieusement, au
plus profond de vous-même, vous avez une sympathie, une indulgence poétique
pour celui qui s'impose si fort. Mais vous avez une secrète hargne pour ces bus
qui vous masquent la vue, vous soufflent leurs échappements dans le nez, ou
occupent lourdement un carrefour.
Observez la
ville! et vous verrez bientôt que la vie n'est pas la même si un tramway
l'habite.
Des dizaines de
villes européennes ont conservé leurs tramways, et il est vrai que l'atmosphère
d'une ville avec tramways respire l'espace et le calme comme aucune ville
"bussifiée" ne saura jamais le faire. Pourquoi?
Le tramway est un
véhicule prioritaire dont le site propre est partageable, c'est à dire
utilisable par les autres usagers dès lors que ceux-ci n'entravent pas la
progression de la rame. Cette priorité est largement admise par les
automobilistes, qui, au contraire, admettent difficilement le site propre non
partageable qu'est un couloir bus. Dans ces couloir bus, la loi du
pas-vu-pas-pris reste applicable pour les livreurs, pour ceux qui se savent ou
se croient au dessus des lois. On se permet de stationner deux petites minutes,
ou deux petites secondes, on emprunte le couloir pour tourner à droite dans une
centaine de mètres, prenant ainsi la place du bus au feu. Par contre, la
sonnette impérieuse d'un tram, la facilité de constater un refus de priorité,
la domination naturelle (aveugle!) de la machine rendent la voie libre et règlementent
de fait le stationnement gênant.
C'est un fait, le
rapport de force est en faveur du tramway et l'automobiliste se sent moins à sa
place sur la rue dès lors que plus grand que lui s'y promène. Le tramway remet
l'automobile à une autre place dans la cité, à une place telle que le piéton ou
le vélo reprennent leurs droits sur la chaussée. Mal à l'aise dans une ville
qui n'est plus tout a fait la sienne, le conducteur se fait plus rare, plus
conciliant... et prend à son tour le tramway car il en découvre les vertus de régularité
de rapidité et de convivialité.
La régularité
d'abord: le respect tout relatif des couloirs qui lui sont réservés rend le bus
tributaire des perturbations de la circulation générale, alors que le tramway
progresse tout à fait régulièrement. Il est ainsi plus facile de tenir compte
du tramway dans le règlage des feux, dans la mesure où son arrivée au carrefour
est beaucoup plus prévisible. Du coup, l'offre est plus régulière, et n'a rien à
voir avec ces interminables attentes à guetter le prochain bus coincé dans les
embouteillages de la circulation générale.
Au chapitre de la
vitesse, les arrêts sont normalement plus courts, du fait d'un plus grand
nombre de portes, du fait du positionnement précis du tramway à l'arrêt, à
opposer au positionnement approximatif des bus, et du fait d'une possibilité
d'accès à la même hauteur que le plancher de la rame. Le positionnement précis
lors de l'arrêt permet aussi à la file d'attente de se constituer facilement,
pour une montée rapide. Les feux de carrefours peuvent aussi être cadencés pour
une onde verte qui tienne compte des arrêts, chose difficile avec les bus. Sans
arrêt au feu, le tramway larguera vite le bus qui s'éreinte dans le flot général,et
perd souvent un tour dans son manège. Le tramway fera jeu égal avec la voiture
particulière. Alors! quel intérêt de prendre une voiture qui ne va plus vite,
qu'il faudra garer dans un endroit impossible? Autant prendre le tramway,
vitesse commerciale garantie, même le vendredi soir à l'heure de pointe!
Et la convivialité?
Certainement
meilleure que le bus: il ne pollue pas, se déplace sans bruit, on y monte et on
en descend facilement, on circule librement à l'intérieur. Les accélérations et
les freinages sont progressifs, les accélérations latérales sont faibles. On
regrettera sans doute que les tramways modernes, avec leurs formes arrondies
s'intègrent plus au flot de véhicules et moins bien dans une avenue que les
tramways anciens haut sur pattes, au look en façade d'immeuble. Un tramway qui
ressemble à un bus est-il moins efficace dans ses effets? Celà reste à prouver.
Le tramway a même
des vertus cachées. c'est un laxatif de la circulation générale,
l'anticoagulant du centre menacé de thrombose, qui empêche les blocages de
carrefours: l'emprise du tramway reste libre dans le carrefour, permettant à un
usager qui tourne à gauche de profiter momentanément de ce trou pour se libérer
et libérer à son tour un courant bloqué, empêchant l'automobiliste de s'engager
dans le carrefour s'il n'est pas assurer d'en sortir...
Si le tramway oblige sans doute à supprimer
quelques places de stationnement, qu'on hésiterait à supprimer pour une ligne
de bus, à terme, on s'aperçoit qu'une faible offre de stationnement tend à
augmenter la fréquentation du tramway pour une diminution du trafic automobile.
Plus l'offre de stationnement en centre ville est importante, plus celui-ci génère
de trafic. Cette offre étant toujours insuffisante, il en résulte un nombre non
négligeable de véhicules-kilomètres usés à la recherche d'une place, s'ajoutant
au trafic rééllement utile. Ces véhicules-kilomètres inutiles sont en outre des
déplacements pénalisant pour le trafic général, car ils se font à basse vitesse
et avec des blocages de la circulation et particulièrement celle des bus
pendant les manoeuvres.
Le tramway devient
alors un facteur de dissuasion du stationnement dans le centre. On peut voir
ainsi certaines rues étroites complètement
libérées du stationnement du simple fait qu'il y passe un tramway.
Enfin, combien
serait intéressante une étude comparative de sécurité routière entre villes à
rails et villes à pneus, par exemple en comparant les vitesses et les accélérations
des voitures, le taux de franchissement des feux au rouge, le taux de piétons
traversant hors des passages, le taux de tués et de blessés par habitant.
Alors, de voir
qu'aujourd'hui une ville comme Rennes lui préfère un métro pour enterrer la
vie, de voir que Rouen ne veut pas
faire de mélange et gâche une partie de la rue parce qu'il faut séparer les
modes rail et route (pourquoi monDieu! une ville est un monde où chacun se
rencontre!), de voir Montpellier
vouloir un axe lourd de bus, me pose question. Les urbanistes, restant sur les
schémas Zèdifiés, (ZUP, ZAC, ZI,..), repoussant le travail loin du loisir, le
loisir loin de l'école, le service loin de la famille n'auraient-ils pas encore
compris que le mélange est plus profitable à la vie urbaine que la séparation?
Ne peut-on aujourd'hui considérer que le trawmay d'hier n'était pas une si mauvaise idée, instrument d'animation, promotion du piéton et contre-pouvoir de l'automobile?