Citoyenneté internationale et langage international

 

 

Résumé : Le langage est un des filtres de l’information. Le village planétaire se doute-il de l’importance du langage utilisé pour la production et la diffusion de l’information? La citoyenneté européenne ne s’obtiendra qu’avec un débat lucide sur l’usage de anglais comme langue internationale, en position de monopole culturellement, politiquement et socialement, économiquement non neutre et techniquement loin d’être le meilleur garant d’une bonne compréhension entre les citoyens des différents pays. L’alternative existe, victime d’un manque d’information : l’Espéranto  fonctionne,  sans publicité et au delà de tout préjugé .

 

 

 

 

En 1922, l'espéranto fut à deux doigts d'être adopté par la Société Des Nations en tant que langue de travail. Ce projet avorta du fait d'habiles manoeuvres de la part de la représentation française qui pensait pouvoir imposer le français comme langue internationale, laissant du coup la porte ouverte à l'anglais.

 

La langue est le vecteur de l'information. Toute réflexion sur la citoyenneté européenne ou sur la notion de citoyen dans le monde ne peut s'abstraire d'une réflexion sur les échanges d'informations entre pays et par conséquent sur le vecteur de ces échanges.

 

I do speak English, of course!

L'anglais est de fait la langue la plus utilisée dans les travaux internationaux, nouveaux forums où quelques élites technocrates construisent les prémisses de nouvelles citoyennetés.

Au niveau le plus élémentaire, une des marques de l'élite est sa capacité à parler l'anglais, ce qui signifie une adhésion de fait à un canal de communication pratiquement à sens unique. L'élite de

 

 

 

tous les pays non anglophones produit infiniment moins d'informations en anglais que toutes celles qui sont produites dans les pays anglophones, et qui servent de base à toute étude dite sérieuse Cette disproportion des flux d'informations crée une situation de dépendance insidieuse.vis à vis des Etats-Unis. De plus, l'élite qui maîtrise bien l'anglais a en général séjourné suffisamment de temps aux Etats-Unis pour adopter les notions de citoyenneté de l'élite américaine. Quant à l'élite qui s'en tient à l'anglais scolaire, elle est littéralement infirme dans les négociations face à des partenaires dont l'anglais est la langue maternelle. Il convient de noter que parmi les millions de gens prétendument bilingues (langue maternelle+anglais), seuls 6% sont reconnus comme ayant une maîtrise correcte de l’anglais.

 

L’anglais, c’est cher!

Au niveau économique, le rappel de cette phrase d'un rapport du British Council est éloquent : "There is a hidden sales element in every English teacher, book, magazine, film-strip and television programme sent overseas.(…) If then we gain political, commercial and cultural advantage from the world-wide use of English, what are we doing to maintain this position?". Ce sont des principes que la France a appliqué à l'époque coloniale, que les romains ont appliqué avant nous : autres temps, autres notions de citoyenneté!

 

Un débat pour l’anglais?

Au niveau européen, la Commission Européenne a bien sûr pris conscience des problèmes linguistiques d'une Europe en construction, elle tolère que l'anglais soit la langue officieuse, mais aucun politique n'osera proposer que désormais l'anglais soit adopté dans les instances européennes par respect de l'identité de chaque nation. La solution la plus simple et la plus éprouvée dans d'autres domaines consiste à laisser s'installer un standard de communication de fait que l'on proposera à la norme, entendez à l'approbation démocratique générale, lorsque le fait accompli ne fera plus sursauter une majorité de citoyens.

Au niveau mondial, l'équilibre politique actuel ne fait plus planer aucun doute: tous les traités internationaux seront en anglais ou ne seront pas, les disciplines scientifiques auront une chaire aux Etas-Unis où ne seront pas. Il restera une culture muséiforme en face d'une satisfaction banalisée des besoins élémentaires par des produits ayant reçu le sceau de l'hygiène américaine.


 

L'anglais n'est pas une langue neutre

Apprendre l'anglais dès lors que l'on s'intéresse à la civilisation anglaise ou américaine est tout à fait souhaitable. Encore faudrait-il que l'on apprenne l'allemand pour goûter à la patrie de Goethe, ou le chinois pour comprendre une partie de l'asie. Ce serait la meilleure façon de se sentir citoyen du monde. Malheureusement, la maîtrise d'une langue est chose trop longue. Contentons-nous de l'anglais, dont se suffisent les marins où les compagnies aériennes. Mais le monde peut-il se restreindre à un môle auquel on n'accoste guère plus de quelques heures ou à un hotel aseptisé des environs d'un aéroport? Peut-on qualifier de citoyen du monde ceux qui, complet-trois-pièces et attaché-case vont discuter des destinées de celui-ci sans rien en connaître que la pauvre traduction de quelques mots en anglais?

Il est essentiel que chacun comprenne que l'utilisation de la langue anglaise comme langue-pont entre nations de langues différentes implique une certaine allégeance à l'"américan way of life" qui n'a pas grand'chose à voir avec une citoyenneté respectueuse des identités des peuples. Construire l'Europe sur cette ambiguïté sans proposer aux peuples qui la composent le moindre débat est irresponsable.

 

Techniquement, l’anglais?

S'il y avait débat, sans doute faudrait-il se pencher sur les qualités de la langue-pont à promouvoir. Combien de ceux qui prônent l'anglais comme langue internationale se sont penchés sur la capacité de l'anglais à assumer ce rôle? Les Anglais eux-mêmes prennent conscience que ce n'est pas le sabir international que l'on parle qui les aidera à sauvegarder la langue de Shakespeare. Un rapport de l'Université de Philadelphie alerte les Américains sur le fait que leur langue est victime de leur tolérance. Un mot veut tout dire et son contraire. Le sens des mots est fixé uniquement par le contexte. L'américain est une langue flottante, qui prouve la richesse de l'Amérique en même temps que son incapacité à comprendre et donc à admettre son voisin. Le standard de communication du MayFlower est devenu million de standards de communication. L'anglais est à son tour colonisé, intériorisé, comme a pu l'être le français en Haïti malgré la toute puissance des académiciens français.

Techniquement la langue anglaise présente autant d'avantages que d'inconvénients: elle ne se parle pas comme elle s'écrit, elle dispose d'une grammaire souple et simple mais nous ronge avec les verbes irréguliers, elle intègre facilement de nouveaux mots mais elle pose des pièges insurmontables aux juristes, elle est la langue de l'image et du rock mais elle est incapable de traduire avec bonheur Goethe ou Cervantès.

 

Une autre langue, alors?

A la décharge de l'anglais, ni le français, ni l'allemand ou le moldave peuvent prétendre à assumer le rôle de langue-pont, pour les mêmes raisons. On continuera donc à prétendre hypocritement que toutes les langues parlées au sein de la CEE sont les langues officielles. En conséquence, il faudra pendant longtemps s'épuiser en traductions multiples, et se passer de documents que la puissance économique ou politique ou journalistique ne juge pas utile de traduire. Ailleurs dans le monde, les rapports internationaux seront encore longtemps dictés par des élites formées aux moules des prestigieuses universités américaines.

Tant que chaque citoyen d’Europe acceptera de ne voir les pays européens qu’à l’aide de la langue anglaise péniblement apprise, il faudra qu’il accepte en même temps que l’information si nécessaire à la démocratie ne circule qu’à travers des filtres sur lesquels il n’a aucun pouvoir. Combien de Maastricht se verra-t-il encore imposer avant de comprendre l’importance de la langue dans l’expression démocratique ?

 

Proposition

Rêvons un moment: si nos scientifiques arrivaient à imaginer une langue autre, qui de ce fait serait politiquement neutre, une langue dont la grammaire aurait su éviter les pièges des verbes ou des déclinaisons irrégulières, dont les racines appartiennent au patrimoine commun, une langue simple à écrire et à prononcer, que l'on aurait validé en traduisant toutes sortes de textes littéraires, juridiques ou scientifiques dans un sens puis dans l'autre pour vérifier sa capacité à respecter les concepts originaux, bref, si nos scientifiques réussissaient à inventer un bon outil de communication entre peuples, les gens sensés ne se pencheraient-il pas sur cette solution comme la Société de Nations l'avait fait en son temps sur l'espéranto.

 

Aujourd'hui, un certain nombre de scientifiques ont étudié le problème, près de 1000 projets de langue internationale ont été recensés. L'un de ces projets a abouti.: L'espéranto, aussi utopique apparaisse-t-il,  fonctionne, validé par un siècle de pratique et par de multiples références. Les associations ayant officiellement demandé à l'ONU la reconnaissance de l'espéranto comme langue internationale représentent 70 millions de personnes (même si les espérantophones ne sont actuellement guère plus de un million répartis dans plus de 140 pays). Rappelons Descartes, interrogé sur la possibilité de voir un jour une langue internationale, disant qu'il était encore plus utopique d'y songer que de vouloir aller sur la lune (merci, messieurs les Américains, d’avoir cru en l’utopie!).

 

L’espéranto est-il condamné, victime d’un masochisme social et d’une élite à oeillères, au moment même où l’Europe a plus que jamais besoin d’une langue neutre pour se construire en respectant la mosaïsque de ses cultures.

 

La conquête de la citoyenneté européenne passe par l’accès libre de chaque citoyen à l’information. L’anglais ne le permet qu’à certaines élites, avec des filtres évidents et prive le simple citoyen du droit de dialogue direct. L’espéranto prouve chaque jour sa capacité au dialogue direct, en particulier avec ceux dont la langue maternelle est minoritaire La conquête de la démovratie européenne demande que chaque pays ait un droit égal devant la traduction. Seul un pays économiquement fort a des chances de savoir traduire ses textes en plusieurs langues. L’espéranto supprime cette nécessité

 

Faisons preuve de hauteur, et plaçons dans une perspective historique. Dans cinquante ans devrons nous dire une fois de plus combien il fut regrettable qu’en 1922 la France se soit pourrie d’orgueil et qu’en 1992 la technocratie européenne aura laissé passé une nouvelle chance d’utiliser un moyen simple et efficace de mettre tous les peuples de la Communauté Européenne dans l’égalité linguistique. Personnellement, je ne souhaite pas la sanction de l’Histoire et j’encourage chacun à poser les termes du problème : d’un coté l’anglais une solution que l’on subit tant elle est écrasante, de l’autre l’espéranto, une élégante et agaçante utopie, un machin à mieux être citoyen européen informé/informant.•