Gestion privatisée du trafic

 

L'industrie, pour vivre, se cherche toujours de nouveaux marchés, au besoin, elle les crée. Elle ne peut les créer qu'auprès de ceux qui sont assez riches pour acheter, c'est à dire ceux qui ont déjà suffisance. Vendre aux pauvres étant risqué et peu rentable, il vaut donc mieux fabriquer pour les riches et les inciter à acheter. L'une des méthodes qui fonctionne à merveille consiste à ancrer dans l'inconscient du consommateur l'idée que le temps est précieux, "Time is money". Il suffit ensuite de laisser faire la tendance naturelle à perdre son temps pour vendre avec succès des sauve-temps ou de passe-temps. Aujourd'hui, on perd donc son temps par exemple dans les transports. Il convient donc de développer les techniques qui permettent d'aller plus vite. On veut gagner du temps sur le temps. On oublie simplement d'analyser les raisons que l'on a de se transporter, d'analyser la raison du temps. L'homme est-il un pseudo-nomade, qu'il ne se sente bien qu'en se déplaçant, d'autant mieux qu'il se déplace loin? Certes, s'enivrer d'horizons lointains à Rio ou à Tombouctou est une raison valable, mais faire une navette quotidienne de plusieurs heures pour aller travailler n'est pas de l'ivresse, mais seulement de la soumission.   Dans quelques années, les données de trafic seront payantes! Bon gré, mal gré, la gestion du trafic deviendra une affaire financière. L'autoroute et le stationnement s'achètent déjà, les ponts et les tunnels suivent. Inéluctablement l'absence de bouchons et le gain de temps s'achèteront, comme s'achètent les transports en commun. Face à ce futur, l'Etat (c'est à dire nous) peut se dire deux choses:

 

A)  laissons s'installer les problèmes de trafic jusqu'à une saturation invivable, pour faire admettre facielement l'irruption du privé dans la gestion de la voirie et pour faire monter les prix de cette concession.

B) améliorons le cadre de vie en assurant la promotion de moyens de substitution du transport, par exemple ne encourageant la mobilité de l'emploi pour que chacun travaille au plus près de son domicile, en incitant à l'usage du vélo (le vélo à pédalage assisté par moteur électrique, vous connaissez?), en automatisant le transport de marchandises, en proposant des moyens télématiques, en favorisant la décentralisation (intelligente) à tous niveaux, en favorisant le rapprochement entre travail et habitat... pour ne concéder au secteur privé que le seul aspect technique. La puissance publique conserverait les choix stratégiques, par exemple en faisant en sorte que les recettes d'un péage urbain alimente directement les transports en commun...

  Le laxisme de la solution A doit nous laisser conscients que lorsque le secteur privé aura investi la gestion du trafic, son intérêt ne sera pas de supprimer les bouchons, mais de savamment les entretenir, afin de justifier son action. La stratégie du secteur privé pour conquérir ce nouveau marché du temps gagné dans les déplacements en véhicules particuliers est déjà opérante. Dans quelques années, quelques consortiums internationaux disposeront d'une banque de données de trafic suffisamment intéressantes pour être digérées puis vendues à l'usager pour l'aider à trouver le chemin le plus rapide. On peut imaginer que plus le réseau sera saturé, plus le concessionnaire aura de clients. Le lobby ainsi créé aura alors la puissance suffisante pour s'opposer à toute mesure visant à limiter son marché.... Belles perspectives, que seuls les naïfs récuseront!